Le titre et l'affiche annoncent la couleur et il n'y a pas tromperie sur la marchandise, nous assistons à un pur pamphlet antimilitariste. 13 ans après Les Sentiers de la Gloire de Kubrick qui provoqua de multiples remous dans une société française encore marquée au fer rouge par le souvenir de deux guerres dévastatrices et divisée par la question algérienne, c'est au tour du cinéma italien d'évoquer le sujet épineux des "fusillés pour l'exemple". L'action du film prend ainsi place sur le front austro-italien, un contexte géographique qui n'a, à ma connaissance, pas été souvent représenté au cinéma. Pour le petit rappel historique, l'Italie est le pays qui a exécuté le plus de soldats de sa propre armée durant la Première Guerre Mondiale.
J'ai en tout premier lieu particulièrement apprécié le cadre du film. La guerre y est représentée ici sous ses aspects les plus sordides. C'est froid, sale, fataliste, à l'image d'un générique qui voit des soldats avancer péniblement dans la brume et la boue. Francesco Rosi n'a pas non plus lésiné sur les moyens pour mettre en scène cette boucherie humaine de manière spectaculaire avec ces champs de bataille recouverts de cadavres, ces tranchées chaotiques, cette crasse omniprésente. De manière générale, j'ai beaucoup aimé cette reconstitution qui appuie pertinemment son propos dont la puissance est également stimulée par la réalisation de Rosi, sans fards ni chichis. Néanmoins, en dépit de ce côté brut de décoffrage qui me parle, je trouve la mise en scène peu inspirée lors de scènes de batailles parfois un peu longuettes. Le film est également monté de façon un peu sèche, ce qui rend l'enchaînement des scènes rapide et ne laisse pas tellement la narration respirer. Je n'aurais pas dit non à quelques séquences supplémentaires de vie dans les tranchées afin d'instaurer un quotidien qui aurait rendu le dénouement encore plus poignant (même si ce type de scènes n'est pas rare et heureusement). Ce sera cependant mon seul gros reproche.
Pour revenir sur le propos évoqué précédemment, il s'agit d'un film qui dénonce de manière très frontale l'absurdité de la guerre à la fois par sa retranscription de ses horreurs mais aussi par des teintes d'humour noir lorgnant très fortement vers l'absurde. Le passage des cuirasses étant certainement le plus représentatif et étonnant. Ce mélange rend le film plutôt déconcertant sur le ton, ce qui n'est vraiment pas pour me déplaire. Je le trouve néanmoins un peu trop démonstratif dans l'ensemble, surchargeant bien souvent la confrontation binaire entre les officiers obstinés et les troupes usées par le conflit. En ce sens, le personnage du général Leone campé par Alain Cuny est un tantinet exagéré bien que son côté froid et jusqu’au-boutiste dans l'inhumanité soit tout de même nuancé par un courage forçant l'admiration, ce qui crée une légère ambiguïté à son sujet assez troublante et bienvenue.
Ambiguïté que l'on retrouve aussi dans les enjeux politiques soulevés par le film et dont une scène de discussion entre Frechette et Volonté est particulièrement représentative (et brillante). Ce dernier y évoque sa volonté de voir le peuple gouverner à la place des commandants actuels qu'il faudrait abattre, en affirmant que ce nouveau système socialiste sera bien meilleur que l'ancien. Et face à la question de son interlocuteur lui demandant si il est bien sûr de cela, il y a cette réplique que je trouve assez géniale "Je suis sûr qu'on doit les abattre. Après, on verra.". Par ce simple dialogue, le film soulève des questions intéressantes sur le devenir politique d'une nation troublée et menée par des hommes irresponsables. La souffrance d'une population amène l'envie d'un changement en profondeur, mais comment l'opérer?
De manière générale, malgré les quelques petites réserves évoquées, j'ai trouvé ce film vraiment bon. La démonstration très appuyée, après tout, ça a ses avantages quand il s'agit de placer un crochet du droit. Le film est particulièrement pessimiste et surtout efficace dans la transmission de son propos et dans l'expression d'une révolte née d'une colère sociétale profonde. Après c'est certain qu'un peu de finesse aurait été plus apprécié même si la nuance reste bien présente. Discrète mais présente. En tout cas, il s'agit d'un film qui mérite fortement d'être redécouvert.