«Bande à part» (France, 1964) de Jean-Luc Godard ne se résume pas qu’à la séquence du record de la visite du Louvre la plus rapide. En s’ouvrant su une succession rapide des visages des trois jeunes adultes principaux (Claude Brasseur, Anna Karina, Sami Frey), Godard présente, comme en exergue d’un livret de théâtre, les trois protagonistes de son récit. Tandis que les deux hommes semblent sortir des films noir de série B américaine (typés comme ceux de la Monogram Picture, à laquelle était dédié «A bout de souffle»), la jeune femme, telle que l’interprète Karina, hérite, dans sa fragilité et par la délicatesse de ses actions, de la Marika Green de «Pickpocket». Sujet frêle, objet de manipulation et de passion, Odile Monod –nom de la mère de Godard- a un prix, le même pour tout (monod-prix, comme le dit Brasseur). Influencée par les deux loubards qu’elle a rencontrés en cours d’anglais, Odile est contrainte d’être complice avec eux du vol de l’argent de sa propriétaire. Charnière dans l’œuvre du cinéaste, comme le sont ses films du milieu des années 60, «Bande à part» se nourrit du beau prosaïsme de ses premiers films et tend vers ce «temps de la réflexion» auquel nous promettait déjà les premiers instants du «Petit Soldat». Moins capital dans le basculement réflexif de Godard que «Une femme mariée : Fragments d’un film tourné en 1964», «Bande à part» tient encore davantage de l’œuvre plastique. Réduit à un motif : la course, qu’on prête souvent au de la jeunesse de 64. Sociologue-cinéaste, Godard capte, à travers les élans et les virées des personnages, la fuite en avant d’une jeunesse lancée dans une société en mutation, déjà assise sur un culte renouvelé de l’argent. Et pour cela, la séquence dans la musée est symptomatique du regard que Godard porte sur sa jeunesse : des gens qui consomment, jusqu’à l’art, pour le seul amusement du prestige.