Le titre ironique, A Perfect World, prend son sens lorsque l’adjoint au Texas Ranger s’entretient avec Sally Gerber et évoque, par abstraction, « un monde parfait dans lequel nous aurions battu la campagne, fouillé le moindre buisson », comprenons un mode opératoire idéal mais néanmoins inapplicable compte tenu de l’étendue géographique que recouvre la cavale. Abstraction que contredit d’ailleurs la criminologue en précisant que « dans un monde parfait, ce genre de chose ne serait jamais arrivé ».
Nous retrouvons donc, au cœur du long métrage, la dualité entre le Bien et le Mal qui obsède le cinéma de Clint Eastwood ainsi que le personnage de Robert Haynes, puisque ce dernier ne cesse de s’interroger sur la valeur de ses actions au regard de l’innocence même, le jeune Philip tributaire de son éducation de témoin de Jéhovah. Le film confronte des conceptions du monde et des quêtes de stabilité alors que les statuts des protagonistes sont par définition instables : un criminel en fuite, un enfant kidnappé, un policier qui sacrifie sa vie personnelle pour remonter la piste du fuyard, une jeune criminologue balancée dans un microcosme masculin et machiste, une mère abandonnée par son mari ; leurs trajectoires sont similaires aux routes texanes, elles sont morcelés, inachevées faute de moyens budgétaires et d’une politique rigoureuse, exigeant de ceux qui les empruntent des sorties de pistes à l’origine de rencontres humaines. Qu’importe l’endroit où nous allons, l’essentiel étant de connaître les raisons qui nous y conduisent, affirme Sally suivant une approche psychologique du criminel ; or, la destinée rêvée par Robert n’est-elle pas l’Alaska, eldorado paternel ?
Dès lors, attribuer le costume de Casper à l’enfant offre au récit une puissante métaphore de la filiation pour deux hommes qui font l’épreuve de la paternité au fil de la cavale : le Texas Ranger, qui jadis prit la défense d’un enfant contre son père ; Robert Haynes qui trouve en Philip, rebaptisé Buzz, un fils par procuration. La cavale se fait voyage initiatique et odyssée du père dans un État du Texas où pullulent les antimodèles : Robert est heurté par la violence de Mack, ouvrier agricole, qualifié de « fantôme » par la grand-mère lorsqu’il apprend l’identité véritable de ses hôtes, heurté également par la sévérité démesurée d’une mère qui frappe et pousse ses enfants dans la voiture neuve de son mari. À chaque nouvelle voiture volée correspond une étape supplémentaire qui conduira l’enfant à son affranchissement – les mains couvertes de sang symbolisent la fin de l’innocence, image que l’on observe dans Hereafter (2010) quand Marcus s’agenouille près du corps de son frère – puis à son élévation dans la « fusée », et en miroir à un voyage dans le temps qui raccordera l’adulte hors-la-loi à l’enfant qu’il était.
La photographie somptueuse de Jack N. Green immortalise cette relation entre deux générations complices, réunies par l’amour et la violence. « Continuons tranquillement notre route », répète Red Garnett à son équipe. Un chef-d’œuvre de sensibilité.