A Perfect World s'illustre comme une véritable ode à la liberté. Dès le début du film, avec l'évasion de deux prisonniers, ce désir de fuite vers l'"ailleurs" se retrouve fortement prononcé. Parmi ces deux hommes, Butch, un personnage au caractère complexe, qui se dévoile d'emblée comme un faux voyou, certes complètement cinglé, mais avec de vrais principes. Contraints de prendre pour otage un petit garçon, Philip, une aventure de tous les instants démarrent pour ces personnages, aventure à la fois externe et interne.
Le film va alors se retrouver structuré à la manière d'un road movie, qui sera le résultat d'une cavale continue à l'echelle de l'état du Texas. Faisant office de quatrième passager, le spectateur se met lui aussi à rêver d'illusions, d'un départ vers un monde parfait. Pour rendre cet aspect transparent à l'écran, Clint Eastwood joue volontairement sur la souplesse de son cadre. Aéré et clair, c'est une impression de douceur qui ressort de tout le long-métrage. Douceur visuelle et émotionnelle, c'est une certitude, puisque rien n'est anodin dans ces images, qui collent parfaitement à l'idée derrière la forme. Tout est métaphorique et pleinement orchestré pour s'avérer aussi touchant que compréhensible.
Outre le fait d'être une histoire de banditisme, de traque policière, A perfect World est surtout, et avant tout, une étude des relations père/fils. Le duo qui se met en place entre Butch et Philip, renommé Buzz, est exceptionnel tant dans son élaboration que dans son contenu. Leur complicité grandissante est justement dosée pour en devenir fascinante. L'écriture scénaristique des dialogues qui les font intervenir nous berce à la fois dans l'intelligence philosophique et la profondeur humaine, tout en se gardant bien une dose d'humour et de complexité dans les rapports. Kevin Costner, idéal en homme protecteur et plein de valeurs, mentionne clairement cette complicité en énonçant : "Toi et moi, nous ne sommes pas si différents". L'empathie qu'éprouve Butch pour Philip est profonde, comme s'il se revoyait lui-même à son plus jeune âge, comme s'il le connaissait depuis toujours. Deux enfants abandonnés, qui recherchent quelque chose, qu'ils vont trouver tous deux grâce à leur rencontre. Et ce qui devient le principal atout de cette relation, c'est qu'elle n'est en rien prévisible ou banale, alors que cela aurait pu facilement être le cas. Non, leur relation, bien que dévoilée avec beaucoup de simplicité, se révèle complexe et unique.
Si une relation père/fils se veut évidente entre eux, ce ne sont pas les seuls personnages dont les rapports reposent sur ce thème. Du côté des policiers qui les traquent, une liaison similaire va naître entre Red, responsable des opérations, et Sally, une jeune femme experte en psychologie. Cette histoire est certes moins développée, mais l'évolution qui en découle est tout aussi symbolique. Ce sont d'ailleurs ces quatre personnages qui sont les seuls qui importent vraiment, le reste ne faisant que graviter autour d'eux pour faire ressortir leurs traits de caractère.
Le film dans sa continuité n'est alors que plaisant, tant le travail réalisé sur la psychologie des personnages est une vraie réussite. Tout comme les situations qui les mettent en scène, qui malgré une certaine fluidité cyclique dans le déroulement, ne deviennent jamais lassantes. A Perfect World est l'image même du film qui arrive à se reposer sur tout type d'émotions, de l'humour à la nostalgie, sans qu'un seul de ces sentiments ne prédomine et laisse le spectateur campé sur une seule vision. C'est là où Buzz voit son rôle encore plus marquant. Lui et sa curiosité, lui et sa naïveté, lui et son costume de fantôme, il alterne avec exactitude la joie et la tristesse, l'humour et la mélancolie. Pluriforme sur le fond, même la sensation de fatalité qui se dégage de la fin du film n'est en rien à vocation unilatérale. Les personnages arrivent à terme avec une recherche qui a été satisfaite, et une paix qui a été retrouvée. La liberté est totale, symbolisée par cet hélicoptère ou ce rayon de soleil. La beauté visuelle n'a finalement d'égale que la beauté émotionnelle, qui s'avère maîtrisée d'une main de maître. Clint Eastwood ne se prive même pas du luxe de recouper la fin avec le début, comme tout artiste qui veut donner à son oeuvre une impression de perfection.
Un monde parfait ? Non. Un film parfait ? Oui.