Après des années 1980 plutôt difficile pour Clint Eastwood au box-office, il entame un vrai renouveau dans les années 1990 avec en premier lieu "Impitoyable" qui sera couronné de succès public et critique puis "Dans la ligne de mire", où il est uniquement acteur qui sera là aussi un énorme succès. Il se lance alors "Un monde parfait" où il met en scène la cavale de Butch, un voleur récidiviste et de son otage, un jeune témoin de Jéhovah.
Clint nous emmène dans la campagne texane des années 1960 et braque sa caméra sur le couple voleur/kidnappeur qui va vite se mettre en place. Il va mettre en scène une improbable histoire d'amitié entre les deux, d'attachement réciproque où, enfant comme adulte, ils sont tous deux à la recherche d'un père et l'un va le trouver en la personne de Butch. Bénéficiant d'une grande qualité d'écriture, tant au niveau des personnages que des dialogues, Clint se concentre bien plus sur la relation de Butch et du gamin que sur la cavale en elle-même.
Clint dresse un portrait ambigu de Butch, on le sait criminel mais il s’intéresse à son passé, ses démons, ce qui la conduit là et qui peut resurgir à tout moment et surtout, il en fait un père de substitution charmant, révolté, sympa et malin, s'attachant à son jeune compagnon de cavale et se comportant avec lui comme un père. Mais c'est lorsque l'on s'y attache le plus qu'Eastwood remet en avant l’ambiguïté qui plane au-dessus de lui, à travers quelques scènes hors champs ou de soudains énervements, bien que "justifiés". Quant au gamin, il va découvrir une vie qui lui était inconnue à ses côtés, une vie de risque et de danger et va trouver en Butch le père qu'il n'a jamais eu.
L’ambiguïté se trouve aussi à travers la vision du gamin, là où les limites entre le bien et le mal ne sont pas tout à fait claires et dont la cavale avec Butch va accentuer. En toile de fond, Clint dresse un portrait désenchanté de l'Amérique, là où les pères sont absents et ce pour diverses raisons (et quand ils sont présents, ils battent leur enfant) et là où le gouvernement, les autorités et la police montrent de vraies failles tels ce gouverneur uniquement préoccupé par sa campagne électorale.
La qualité d'écriture est associée au talent d'Eastwood derrière la caméra. Dans un style assez contemplatif, il met très bien en valeur les paysages et nous fait sentir proche de ses personnages, on s'y attache et rend son film tour à tour tragique, aventureux, émouvant, poétique et drôle, sans pour autant tomber dans la facilité. Plusieurs scènes sont marquantes et les 15 dernières minutes, tout en émotion et cruauté, prennent vraiment aux tripes et sont des modèles du genre. Sachant prendre son temps, Eastwood sublime ce duo, quitte à sacrifier quelques rôles secondaires, et en fait ressortir toute l'émotion.
Un duo qui doit beaucoup à ses deux interprètes. Alors au sommet de sa gloire, Kevin Costner connaîtra un premier échec commercial sur le territoire US avec ce film et c'est bien dommage tant il incarne avec présence et émotion ce fugitif attachant mais violent et sa complémentarité avec le jeune T. J. Lowther est parfaite. Ce dernier est inoubliable en casper et sincère en gamin découvrant ce qui est pour lui une nouvelle forme de liberté. Quant à Clint, il se donne un rôle à l'opposé du flic version Harry Callahan.
Un joyau dans l'immense filmographie de Clint, surement l'un de mes préférés avec le brillant "Sur la route de Madison" et le sombre "Mystic River". Il dresse un portrait aussi ambigu qu'attachant d'un couple de fugitifs et surtout il nous prend aux tripes comme peu savent le faire.