La Nuit des forains est l'une des merveilles de première partie de la carrière d'Ingmar Bergman. La photographie très contrastée de Sven Nykvist est un enchantement visuel. L'une des premières séquences, suivant l'esthétique du Cinéma muet, joue avec la lumière du soleil et le son des canons d'une garnison. Tragi-comique, elle est un excellent prologue au film, une sorte de chemin de croix accablant par la chaleur et l'humiliation. L'histoire, pathétique comme jamais chez Bergman, raconte comment le directeur d'un cirque décide de revoir ses trois enfants et sa femme, depuis que cette dernière, lassée d'une existence nomade et nécessiteuse, a abandonnée la vie conjugale pour s'établir en ville. Les retrouvailles sont amères, d'autant plus que la jeune maîtresse du directeur Alberti (Harriet Andersson, toujours décolletée jusqu'au nombril) manifeste elle aussi sa volonté de changer de vie. Cet aspect de l'argument rappelle un autre film sur le thème du cirque sorti la même année, Man on a tightrope d'Elia Kazan. Jaloux du nouvel amant de sa maîtresse, Alberti affronte cette espèce d'Hamlet blafard. La Nuit des forains oppose ici le monde du cirque, familial mais indigent et lamentable, au monde du théâtre, snob mais élégant. Humilié et offensé, Alberti tente vainement de se suicider. De dépit, il décide de quitter la ville au plus vite et sans parvenir à se réconcilier réellement avec Anne. La Nuit des forains, l'un des plus noirs de Bergman, annonce d'autres chefs-d'oeuvres à venir, notamment Le Visage, qui relate lui aussi l'humiliation d'une troupe de saltimbanques.