"American gangster" : tout un programme annoncé d’abord par le titre, ensuite par la tête d’affiche sur laquelle figurent de grands noms tels que Denzel Washington et Russell Crowe, dirigés par un certain Ridley Scott. Chers lecteurs, chères lectrices, soyez les bienvenus dans ce long métrage qui respecte tous les codes du polar des années 70. Inspiré du parcours fascinant du véritable Frank Lucas (lequel a servi de conseiller technique pour l’élaboration du film), "American gangster" vaut le coup d’être vu en tout premier lieu pour le fait que Denzel Washington joue le méchant, type de rôle assez rare chez lui. Et il l’a bien interprété, avec beaucoup de charisme. Comme à son habitude d’ailleurs. Mieux : il est transcendantal ! Comme très souvent, du reste… Si vous vous posez la question de savoir comment il peut être aussi convaincant, surtout au niveau de l’expression scénique (mon dieu qu’il peut avoir le regard mauvais !), c’est simple : d’abord le talent, ensuite le travail. Car pour mieux comprendre la psychologie du personnage, il est allé jusqu’à rencontrer le dealer repenti et enregistrer les discussions qu’ils ont pu avoir. Il apparait que le personnage était un homme doté d’une certaine classe, possédant un caractère bien trempé (il savait ce qu’il voulait), et doté de beaucoup de charme. Cela donne un personnage aussi attachant que détestable. Un comble pour un dealer qui a construit son empire avec une sacrée audace, notion inattendue chez un garde du corps, fut-il celui du Parrain noir de Harlem. Sur sa route, sera mis une petit inspecteur de police à la drôle de démarche, intègre et incorruptible, et pourtant en prise avec une vie privée nettement plus instable que le dealer. Une démarche qui rappelle celle que Russell Crowe avait adoptée déjà dans "Un homme d’exception". Tout commence avec la présentation des personnages, par le biais d’une multitude de petites séquences séparées d’ellipses. Le métrage durant déjà 2h37, cela a permis au réalisateur d’aller à l’essentiel sans trop survoler la mise en place de l'histoire, tout en évitant de tomber dans le film fleuve qui aurait pu en décourager plus d’un d’aller voir ce film en salles. J’ouvre ici une petite parenthèse pour vous dire de ne pas me demander ce qui a été rajouté pour la version longue (disponible seulement en DVD), mais j’attire l’attention des amateurs de version française : il parait que les scènes rajoutées n’ont pas été doublées. Je disais donc que les personnages nous étaient présentés, au gré de leur itinéraire très différent l’un de l’autre, jusqu’à ce que le dénominateur commun réunisse leur destinée. Le tout est rythmé, tant et si bien que ça prend des allures de swing. C’est ce qu’on appelle (enfin je crois) l’intensité. Malgré une entrée en la matière qu'on peut éventuellement trouver un peu longue, cette intensité mise dans le récit lui permet d’être efficace. C’est ce qui constitue le point fort du film : non seulement cette intensité est constamment présente, mais elle va en augmentant au fur et à mesure que l’histoire se déroule. Et ce ne sont pas seulement le scénario, ni le montage, ni la qualité de la mise en scène, ni la formidable reconstitution de l’époque (décors, costumes et véhicules), ni la belle photographie, ni le joli accompagnement musical, ni les deux acteurs principaux qui font que cette intensité perdure : les seconds rôles y contribuent largement aussi. A commencer par Josh Brolin, pour qui on se surprend à vouloir qu’il se fasse fumer ; puis Ted Levine, à qui on a envie de conseiller de donner carte blanche ; ou encore John Hawkes, qui n’inspire pas vraiment la plus grande confiance au début. Par contre, dans un tout autre registre, et c’est mon véritable coup de cœur, j’ai trouvé la mère de Frank Lucas vraiment trop mimi. Regardez-là attentivement, et vous verrez qu’elle respire le bonheur à plein nez. Chapeau bas à la regrettée Ruby Dee, qui nous fait ressentir à merveille les sentiments que traverse son personnage. Je parlais donc de cette intensité, à la force sans cesse grandissante. Jamais, je dis bien jamais, elle ne redescend d’un cran, bien au contraire. C’est un peu à l’image des enjeux des deux hommes. Jusqu’au dénouement final, d’anthologie, qui permet de ranger ce film de Ridley Scott aux côtés des grands classiques du genre. D’autant plus que lorsqu’on ne connait pas la véritable histoire de Frank Lucas, le twist final ne manque pas de surprendre.