Premier film du "quatuor magique" encensé par les critiques et les fans du maître (avec "Manhattan", "Hannah et ses sœurs" et "La Rose Pourpre du Caire"), "Annie Hall" n’a pas volé son statut tant on sent, dès les premières minutes du film, qu’on se trouve bien face à une œuvre particulièrement travaillée et, au final, un grand film. En intronisant comme héros une copie conforme de lui-même, Woody Allen crée un style (qui lui colle à la peau, aujourd’hui encore) et s’impose comme une figure iconique avec laquelle il faudra, désormais, compter. On pourra toujours lui reprocher d’avoir assez peu fait évoluer ce personnage de névrosé fataliste et légèrement asocial armés de répliques qui font mouche (on ne dira jamais assez de bien sur la capacité du réalisateur à ne pas se donner le beau rôle)… mais force est d’admettre que même ceux qui n’ont jamais vu un de ses films savent identifier cette interprétation. Et "Annie Hall" est l’exemple parfait du film où l’auteur profite de la fiction" pour se raconter et, au passage, faire sa propre psychanalyse. Woody Allen puise, ainsi, dans son propre parcours (et, accessoirement, sa séparation avec Diane Keaton) pour faire une sorte d’état des lieux, sous forme d’auto-critique, de sa vision du monde, des rapports humains, de la réussite, de la vie de couple (soit autant de sujets qui deviendront peu à peu sa marque de fabrique)… et il parvient à asséner son discours sur un ton extraordinairement drôle et une mise en scène formidablement inventive, ce que permet d’éviter l’écueil de la leçon de morale ou de l’austérité. C’est, d’ailleurs, sans doute, la mise en scène de "Annie Hall" qui lui a permis de tirer à ce point son épingle du jeu puisque Allen se permet des fantaisies d’une originalité inattendue qui viennent dynamiser le rythme (les habituelles plans séquences bien sur mais aussi les confidences face caméra, l’intervention absurde d’un auteur critiqué dans la file d’attente, les flash-back, les split-screens, cassures de rythme…). Cette créativité visuelle permet de faire passer l’image très 70’s et l’impression de grand bordel qui se dégage parfois du film. Woody Allen est, mine de rien, est des plus grands conteurs qui soit puisqu’il parvient à disserter sur des considérations d’ordre philosophique souvent terriblement pertinentes… par l’intermédiaire de blagues ! A ce titre, sa blague sur le fou et les œufs résume parfaitement le travail de l’auteur : un propos intelligent traité par le prisme du rire. On se prend, donc, à se passionner pour cette histoire d’amour qui finit mal et pour la subtilité avec laquelle ait traité le sujet (on sent bien que le réalisateur ait passé par là et qu’il se raconte). Autre grande réussite : le fait de mettre le personnage féminin (Diane Keaton rayonnante de vie) au centre de l’évolution de ce couple et en faire un personnage fort. Car, si ce couple se dirige tout droit vers une inexorable séparation, c’est essentiellement en raison du refus de l’homme d’évoluer (il reste attaché à son quotidien, à ses racines et à sa ville) alors que la femme est en perpétuelle élévation (sociale, culturelle, intellectuelle). La encore, on ne saluera jamais assez le talent de Woody Allen qui sait magnifier les rôles féminins comme peu d’autres réalisateurs. On retrouver, enfin, le goût du réalisateur pour les ambiances jazzy ainsi que son amour pour New-York, à qui il déclare sa flamme en l’opposant au clinquant, absurde à son sens, de Los Angeles. "Annie Hall" est, donc, un film drôle, original et touchant qui a fait de Woody Allen la légende qu’il est aujourd’hui.