On peut se demander ce qui distingue ‘Annie Hall’ des autres films de Woody Allen, si ce n’est qu’il remonte à une époque où chaque sortie du cinéaste new-yorkais était un petit événement et pas les livraisons annuelles vaguement insatisfaisantes qu’elles sont aujourd’hui devenues. Face au constat que l’humour allenien, surtout en ce temps là, reposait au moins en partie sur des traits d’esprit et des références à des personnalités et des problématiques liées à son époque, il est possible de juger le film daté, trop ancré dans les années 70 au point d’être parfois difficilement compréhensible pour un public actuel, sans oublier que j’avais moi-même oublié que le Allen des années 70, des décennies avant ces comédies américaines qui m’irritent tellement aujourd’hui, pratiquait déjà cette forme de mitraillage humoristique sans merci, au risque de noyer les tirades les plus efficaces dans une déferlante de considérations et de commentaires plus ou moins insipides. Paradoxalement, à quarante ans d’écart, cette incontinence verbale sert surtout à rehausser les effets en question, dès lors qu’on ne comprend même plus vraiment à quoi les autres font référence. Il est envisageable ne pas comprendre comment ‘Annie Hall’ s’est débrouillé pour rafler trois oscars l’année suivante...mais ce serait négliger la modernité de ton et de forme dont le film faisait preuve en ce milieu d’années 70 : qu’il s’agisse de l’évocation des problèmes sexuels de manière aussi décontractée que s’il s’agissait de peines de coeur, de la rupture fréquente du quatrième mur, des séquences animées, des caméo multiples, du recours au split-screen à la De Palma,...en posant son regard analytique du pessimiste qui voudrait malgré tout y croire sur le mystère des relations amoureuses, Woody Allen’ n’inventait certes rien mais il condensait tous ces artifices alors presque révolutionnaires (et aujourd’hui passés dans la pratique courante, voire tombés en désuétude) en un laps de temps très restreint, donnant une souffle nouveau à la comédie romantique. Du fait qu’il intervienne en personne pour présenter et conclure le film de quelques aphorismes et blagues juives, Woody Allen entretient le trouble sur les parts respectives de la fiction et de l’autobiographie au coeur de cette histoire d’amour urbaine...d’autant plus que “Annie Hall� sont respectivement le surnom et le véritable nom de famille de Diane Keaton, dont il venait justement de se séparer quelques temps plus tôt. C’est en tout cas à travers ce film que Woody Allen est véritablement devenu “ce� Woody Allen-là, celui qui s’est imposé à l’esprit de tous, pour le meilleur et pour le pire, comme le cliché sur pattes de l’intellectuel juif new-yorkais névrosé et en analyse perpétuelle, paranoïaque et logorrhéique !