Le meilleur rôle de Mickey Rourke et le plus grand film de Michael Cimino, bien aidé au scénario par Oliver Stone. Du cinéma uppercut, qui ne prend pas de gants et assène ses vérités sans ménagement, tout en proposant d’innombrables séquences pleines de beauté et riches en émotions. A l’épicentre de ce séisme, Stanley White, inspecteur de la police new-yorkaise qui a juré de nettoyer Chinatown de sa mafia. Dès le début, il y va dans la provoc’ et le rentre-dedans, contre les Chinois, contre ses ronds-de-cuir de collègues, contre les médias, contre le monde entier. Pendant deux heures, c’est un festival de répliques jubilatoires, qui ont déjà fait jaser à l’époque et qui aujourd’hui, à l’aune du politiquement correct qui sévit, semblent incroyables de franc-parler : « Les Chinois, ça croît que le tripot, le racket, la corruption, c’est normal, parce que c’est vieux de mille ans. »; « Les Chinois, ils y sont toujours pour quelque chose, jamais ils y sont pour rien »; « Je l’emmerde, la retraite. C’est justement ça, le problème : dans tous les corps de police, le moindre poulet pense qu’à sa putain de pension. » ; « Tu veux savoir ce qui coule les Etats-Unis ? C’est pas l’alcool, c’est pas la drogue. C’est la télé, les médias. Je hais cette façon de faire son beurre en collant un micro sous le nez des gens. Je hais ta façon de mentir aux infos de huit heures. Je hais ta façon de tuer l’émotion vraie. Je hais tout ce merdier que tu représentes ». Et l’extraordinaire harangue aux flics du quartier avant la descente dans le club de jeux ! Qui oserait balancer des choses pareilles aujourd’hui ? White est un ancien du Vietnam, thème récurrent du cinéma de Cimino, qui inscrit « L’Année du dragon » dans la droite lignée de « Voyage au bout de l’enfer ». Pour incarner ce personnage extrême, écorché vif et dévoré par son combat au point d’y sacrifier tout son entourage et sa carrière, il fallait un grand acteur. Mickey Rourke est plus que cela. Il est génial de bout en bout, charismatique comme plus jamais il ne le sera. Il impose une dégaine inimitable, il habite chaque regard, chaque parole d’une intensité incroyable, d’un faux détachement qui n’est qu’à lui. Un numéro magistral, une classe exceptionnelle ! On en oublierait presque la superbe prestation de John Lone, la beauté d’Ariane (actrice qui, étrangement, n’a pas fait carrière par la suite), la réussite de tous les autres personnages. Et pour couronner le tout, il y a la magnifique réalisation de Cimino, nerveuse, vive, d’une beauté sombre et tragique, qui transforme ce qui pourrait n’être qu’un bon film de genre en un drame crépusculaire d’une ampleur exceptionnelle et une réflexion passionnante sur la guerre, l’engagement, la fidélité à ses valeurs, et le poids d’une volonté d’homme face à la faillite d’un système et à la démission collective. Faut-il préciser que tout ceci n’a pas pris une ride et reste éminemment d’actualité ?