L'année du dragon, c'est un film qui m'a plu dès sa scène d'introduction : brutale, franche et directe, elle dévoile sans peine l’atmosphère prochaine du film. Car il ne faut pas s'attendre à du léger quand on met ce film; non, il ne faut pas espérer un cours magistral sur la paix et l'entraide au sein de la société américaine : "L'année du Dragon" est un film âpre, violent et sans concession, une parabole sur une société cosmopolite hypocrite, qui fait semblant de s'aimer tout en se détestant intérieurement. Et si la tâche de le scénariser a finalement incombé à Oliver Stone, ce n'est pas pour rien; lui, les jaunes, il ne les porte pas dans son coeur, plus depuis qu'il a fait le Vietnam, et qu'il y a vécu les traumatismes de Platoon. Dès lors qu'il en est revenu, sa vie a changé, comme métamorphosée par une force immuable et invisible, une entité qui aurait pris le contrôle de son existence pour ne jamais l'en laisser sortir. Oui, Oliver Stone est un raciste : il hait les peaux jaunes, et cela se ressent tout du long; blagues potaches sur le riz, clichés et stéréotypes primaires et stupides, haine profonde contre une population qui, pense-t-il, l'aura trop fait souffrir, sans jamais faire la distinction entre un vietnamien et un chinois. Au final, le personnage de Mickey Rourke ( qui l'interprète d'ailleurs avec une grande classe, ainsi qu'un charisme animal ) sera une version imagée d'Oliver Stone, l'incarnation même de ses plus bas penchants : entrant dans un monde qu'il déteste avant même d'en connaître la culture, il rejette tous ces visage bridés au teint de soleil, les insulte plus que de raison. C'est un homme obtus que l'on tient ici, un pauvre type teigneux, le genre de personne que t'adule au cinoche, et que tu détestes dans la vie véritable; c'est un salop, un pauvre type, un sans-gêne au sang chaud, un type primaire aux réflexions animales et pulsionnelles. Il ne réfléchit que très peu, fonce dans le tas à l'émotionnel; le reflet typique d'un traumatisé de la guerre, un type qui n'a pas pu sortir de son Vietnam, un névrosé de la gâchette à fortes tendances psychopathes. Car s'il désire foutre le bordel de partout dans le quartier de Chinatown, ce n'est pas anodin; il tient à prendre sa revanche, à refaire le Vietnam, à gagner cette guerre dont il n'est jamais sorti. Prenant ainsi les chinois pour des vietnamiens, les rues de Chinatown pour la jungle luxuriante d'où ses potes ne sont jamais revenus, et c'est dans la boue et le sang qu'il dégaine son révolver comme ce fusil qu'il aimait tant, fut-il un temps, et entame la plus fatale des danses; une danse d'amour et de haine, de patriotisme béat teinté d'espoirs détruits, d'une vie gâchée par la guerre qui se complet à la perpétrer continuellement. En effet, Rourke ( aux grands airs de Bruce Willis, tellement que c'en devient très gênant ) tient ici le rôle d'une vie, celui du type que l'on adore détester, et que seule sa mère peut réellement aimer. Souffrant de graves troubles relationnels ainsi que de pulsions meurtrières et sexuelles non contrôlées, il avance dans des rues dépravées, seul comme un tigre en rut, affamé comme un ours qui chasserait sa proie. Flanqué de sa lampe torche et de son flingue, il n'est que flicaille engagée, qu'un tueur qui tente de se trouver. Face à lui, une peinture de la société américano-chinoise qui se présente avec une neutralité déconcertante; à en voir les idées de Stone, l'on pourra tout de même s'étonner d'une telle objectivité. Car si les chinois ne s'intègrent pas, s'ils n'arrivent pas à se faire aimer de la population américaine, ce n'est pas entièrement de leur ressort, c'est surtout que lesdits américains blancs ne leur laissent pas la chance de faire partie de leur monde. Que des milliers de chinois soient morts pour construire les chemins de fer des Union et Central Pacific, nul n'en a rien à carrer. Au film de nous le rappeler avec grande pertinence, lorsque des séries telles qu'Hell on Wheels n'en ont jamais vraiment fait mention; peut-être par manque de couilles, sûrement par respect d'un politiquement correct assumé. A le juger de son départ à sa conclusion, "L'Année du Dragon" a pour valeur principale d'être un moyen d'auto-psychanalyse pour son auteur, Oliver Stone ( d'ailleurs secondé par Michael Cimino ), une sorte de méa culpa de l'homme qu'il a pu être hier, et qu'il regrette aujourd'hui d'avoir été. "L'année du dragon", c'est un conflit sociétal suivant la pire des guerres pour l'Amérique et le Vietnam, une sorte de guerre civile fratricide, lorsque les uns voyaient en les autres des étrangers qu'il fallait absolument abattre. "L'Année du Dragon", c'est le constat terrible, l'imagerie enflammée de toute une génération gâchée.