L'Année du dragon. Je me demande encore, comment j'ai pu passer à côté de ce film si longtemps. Développons un peu. Celui-ci s'ouvre tout d'abord sur une scène de fête de rue célébrant le nouvel an Chinois dans le quartier New-yorkais de Chinatown. Et quelle claque visuelle ! On s'y croirait presque, la reconstitution est impeccable, les couleurs sont flamboyantes et la manière de filmer et sublimer de Cimino, annonce le tempo pour la suite.
C'est pendant cette fête qu'un vieil homme Chinois se fait assassiner par un adolescent. Immédiatement après, on assiste à l'hommage funéraire de rue en souvenir du vieux parrain mafieux (car c'est effectivement ce qu'il était). Le film terminera sur la même scène de funérailles, d'un autre mafieux, mais cette fois, le jeune « Joey Tai », jeune loup ambitieux qui voulut être plus malin et plus dur que les vieux bandits, habitués eux à plus de finesse.
La boucle est bouclée. Que se passe t-il entre ces deux marqueurs chronologiques ? Et bien l'on assiste à une formidable leçon de cinéma par un de mes réalisateurs favoris : Michael Cimino. En ce qui concerne le contexte, il faut savoir que c'est à l'époque son 4ème long-métrage après : un premier essai très prometteur (« Le canardeur »), une consécration (« Voyage au bout de l'enfer ») et une chute (« La porte du paradis »). Sorti en 1985, « L'Année du dragon » intervient donc cinq années après l'échec commercial (un des pires de l'histoire du cinéma qui a presque mis en faillite le studio « United Artists ») de La Porte du Paradis, fresque gigantesque sur l'histoire américaine, trop peut-être.
On suit donc un flic grande gueule et hyperactif (Mickey Rourke génial, et sûrement dans l'un des plus grands rôles de son inégale carrière), le plus décoré de la ville, qui débarque à Chinatown pour mettre fin à la guerre des gangs, guerre à la fois de succession entre les vieux truands, et les jeunes sans limites ; et guerre de territoires entre les Chinois d'un côté et les Italiens de l'autre. Et malgré le fait qu'il soit raillé par ses pairs, « Stanley White » ne prend pas de pincettes, il part littéralement en croisade contre l'émanation des triades Hongkongaises à New-York. Et Cimino défait pour nous le rêve américain en quatre étapes :
Premièrement, le patriotisme du pays de « l'oncle Sam » est mis à mal quand on se rend compte que cette guerre fait s'affronter le petit prolétaire Polonais originaire de Brooklyn contre les descendants des immigrés Chinois et que la notion de « melting-pot » dévoile enfin ses limites. Drôle d’antithèse quand on apprend que Stanley a d'ailleurs changé son nom de famille Polak en « White » pour faire « plus américain » (synonyme d’intégration peut-être ?) tandis que finalement on en revient toujours aux origines d'un tel ou d'un autre.
Deuxièmement il dresse un portrait noir sur cette jeunesse dure et sans repères qui tranche avec la bienséance des vieux mafieux Chinois en costumes blancs assis autour d'une table à fumer le cigare. Il faut d'ailleurs noter que la majorité, voir même, toutes les scènes de violence sont le fruit de ces novices : la fusillade complètement folle dans le restaurant au début, l'assassinat de Connie, le viol de Tracy et le meurtre du policier infiltré suivi de l'agression dans la boîte de nuit.
Troisièmement il nuance la faculté du rêve américain à ce que chacun puisse faire fortune dans les affaires à partir de rien, en montrant la corruption ambiante. Car si notre super flic est censé mettre de l'ordre dans le quartier de Chinatown (pour ne plus faire fuir les touristes, symbole de l'économie légale) c'est surtout une apparence car derrière on se rend compte que les triades sont depuis longtemps en contact avec la Police pour que les choses se passent intelligemment pour tout les acteurs, la force publique et la pègre (et donc qu'une partie de leurs activités illégales soient passées sous silence).
Quatrièmement et la liaison avec le point précédent va de soi, Cimino montre le traumatisme (qu'il avait déjà amplement abordé dans « Voyage au bout de l'enfer ») d'une génération par la guerre du Vietnam et notamment ici dans ses conséquences sociales : Stanley sacrifie tout pour sa croisade contre le crime, meurtri par l'échec de la guerre (cf. scène surprenante
dans le bar où son pote Louis tente de lui faire entendre raison tout en justifiant le marché passé avec les gangsters Chinois, qu'on croirait tout droit sortie de « The Deer Hunter » avec la même musique nostalgique
), sa femme, ses amis, ses collègues et sa hiérarchie qui ne l'apprécient pas du tout. Il finit par avoir une liaison avec cette journaliste d'origine Chinoise (bien intégrée, née à San Francisco) qui l'attire autant que les triades le rebutent, cette relation improbable qui détruit tout mais survit à la fois à ce désastre.
Désastre qui se termine sur les rails de chemin de fer du port de New-York entre Stanley et Joey et qui sonne comme un symbole quand on connaît le rôle joué par les immigrés Chinois pour sa construction aux États-Unis.
Le seul point non pas négatif, mais plutôt interrogatif concerne la fin du film absolument étrange de mon point de vue. Mais Cimino aurait expliqué que les dernière paroles de Stanley avait été refusées par les producteurs du film, et donc on peut penser que cette fin n'illustre pas vraiment la vision de l'auteur.
Pour conclure, Michael Cimino, nous offre un film puissant, violent psychologiquement et physiquement, un western moderne dans les rues du quartier de Chinatown qui invite à la réflexion ; une œuvre réfléchie qui sonne comme une rédemption après des années d'échec. Il gagnerait amplement à être bien plus connu et reconnu du grand public.