Le gouffre au chimères (The big carnival, 1951) est un exemple de film à thèse qui évite les pièges de la facilité. Il relate comment un simple accident (un homme est resté coincé dans une mine) se transforme en véritable fait de société, amplement couvert par les médias, suite au triste calcul des profiteurs de tous bords. Le film fonctionne parcequil prend à bras-le-corps, sans parti pris, on pourrait même dire de façon quasi documentaire, la description de ce fait divers qui devient lattraction de la semaine. Chez Wilder, point de grands discours, les faits parlent deux même. Le policier véreux, le journaliste arriviste, le chef de chantier trouillard, et la femme ingrate sont des personnages typés mais Wilder évite opportunément la carricature en les humanisant, dés quil en a loccasion. Ainsi, la fin tagique et pathétique du journaliste, loin dêtre une simple concession à léthique de rigueur, sapparente davantage à un suicide. La distribution est dominée par un Kirk Douglas qui excelle dans ce rôle d'arriviste, qui le voit frapper une femme et se montrer arrogant envers tout le monde. Les autres acteurs, peu connus, sont au diapason. Wilder tire parti de cette ambiance dorgie médiatique et de fête malsaine pour étaler son humour, parfois un peu insistant (le caravaniste qui est assureur proposant ses polices à tout va, le prix de lentrée du site qui augmente sans arrêt), souvent approprié (le policier véreux qui aime les serpents, le train qui crache les hommes et femmes aux abords du site
). Dautre part, il a un style incisif, dépourvu de lenteurs, sauf le temps dune scène destinée à montrer la détresse dun homme qui vient de perdre son fils.
Cest un film charnière entre la période « noire » du réalisateur, dont les plus beaux fleurons sont « Assurance sur la mort » et « Boulevard du crépuscule », et les films plus légers, tels « certains laiment chauds » et « Sept ans de reflexion ».