Vu que je commence à avoir fait le tour de la filmographie de Dario Argento, je n’ai d’autre choix que de me tourner vers un autre poids-lourd du cinéma transalpin, nettement plus décrié que son confrère en raison de choix professionnels qui lui ont valu une réputation de mercenaire sans foi ni loi bien plus que d’auteur. Ayant entamé sa carrière avec la comédie populaire et le western, Fulci s’était tourné assez rapidement vers le film d’horreur et le giallo, peut-être pour assouvir un goût indiscutable pour le voyeurisme et la cruauté, sûrement parce que les deux genres étaient alors en pleine floraison en Italie. A mesure que le cinéma populaire de la Botte entrait dans sa phase de décadence terminale, il accepta à peu près n’importe quel proposition, de la série Z à la pornographie, sans qu’on puisse déterminer s’il s’efforçait de survivre à cette période de vaches maigres ou s’il prenait un certain plaisir sardonique, lui qui avait appris le cinéma auprès de Visconti et Antonioni, à cet “avilissement�. C’est pourtant durant cette période difficile qu’il connut, avec ‘L’enfer des zombies’, son apothéose commerciale : la médiatisation du film fut un véritable chef d’oeuvre d’opportunisme qui surfait sans scrupules sur le le succès du ‘Zombie’ de Romero, sorti l’année précédente, en utilisant la similitude des deux titres pour se faire passer pour sa suite sur le marché italien. Pour autant, le film est loin d’être un ratage : évidemment, il donnera l’impression d’être un peu désuet aux yeux d’un spectateur d’aujourd’hui...mais pas plus que n’importe quel autre film de zombies de ces années là. Il laissera aussi l’impression d’être un peu bordélique et incohérent mais on sait que Fulci se foutait du script encore bien davantage qu’Argento. Déjà, en renouant avec les racines tropicales et caribéennes du phénomène de zombification, Fulci se distingue de la majeure partie de ses confrères et, même dans ce qu’il faut bien appeler un pur produit d’exploitation, on comprend assez vite que ce réalisateur valait bien mieux que le créneau dans lequel il évoluait. Il y a des scènes qui, sur le papier, semblent banales (les corps qui sortent de terre dans le cimetière espagnol) ou même ridicules (le combat sous-marin avec le requin) auxquelles il parvient à conférer une sorte de grâce dévoyée. Alors qu’on aurait du mal à s’émouvoir de n’importe quel barbouillage numérique aujourd’hui, ses morts-vivants à l’aspect “terreux� sont parmi les plus répugnants qu’il m’ait été donné de voir dans un zombie-flick. Enfin, quand il retrouve les réflexes du giallo pour filmer la mort avec un fétichisme malsain, il se hisse au niveau des plus grands : la scène où la jeune femme a l’oeil droit crevé par un débris de bois est proprement insoutenable et pourtant, je suis tout sauf le perdreau de l’année en matière de gore ! Il y a une certaine ironie à constater qu’alors que ses maîtres Visconti et Antonioni, leur grammaire cinématographique et le regard qu’ils portaient sur le monde, deviennent chaque année plus illisibles aux yeux du public, le cinéma de Lucio Fulci, unanimement considéré comme vulgaire et méprisable de son vivant, bénéficie aujourd’hui d’une réévaluation positive et d’un culte grandissant d’admirateurs, séduits par ce cinéma d’épouvante extrême si concentré sur ses effets et sa mission de susciter l’horreur et la répulsion instinctive qu’il tend vers une forme d’abstraction.