Yuri Norstein est généralement considéré comme l'un des trois plus grands réalisateurs que l'URSS a connu, avec Eisenstein et Tarkovsky. Si ses premiers films (25 octobre, La bataille de Kerzhenets) montrent une nette influence de S.M. Eisenstein sur son travail, ce dernier métrage en date (depuis 30 ans! en attendant son adaptation du Manteau de Gogol) est ce que j'ai pu voir de plus proche de Tarkovsky. Comment ne pas penser à Zerkalo en admirant ce film? Ici, aucune parole, mais également un mélange de souvenirs, rêves, fantasmes et allégories qui vagabondent dans l'esprit d'un artiste. Si la succession des séquences ne fait pas sens en soi, c'est qu'elle est le fruit des songes d'un homme. Ainsi, aucune linéarité, certaines séquences se répètent, prenant un sens nouveau, et si les séquences s'enchaînent à merveille par des transitions merveilleuses, elles n'ont le plus souvent aucun rapport (y compris chronologiquement). Un loup qui semble être le point de vue du rêveur qui explore l'univers de ses souvenirs, une porte de lumière aveuglante qui ouvre sur un monde edenique où Famille, Art, Nature et Paix (le poisson en est le symbole en Russie) se conjuguent harmonieusement, un bal interrompu par la guerre, un village abandonné, un enfant qui rêve de compagnie mais qui subit la violence du père... L'atmosphère unique qui se dégage du film est dûe, en plus de la nostalgie des souvenirs, de l'ensemble extraordinaire des techniques développées par Norstein. La pluie, la neige, le feu, sont le résultat d'effets stupéfiants et s'intègrent magiquement au papier découpé. Les effets de lumière (voiture qui passe, porte entrouverte, braises ravivées...) sont fabuleux, vraiment je n'ai pas de mots pour décrire cela. Les mouvements de caméra sont toujours aussi ingénieux mais là où Norstein atteint le véritable génie, c'est la façon qu'il a de créer et utiliser la profondeur de champ. On touche ici à l'un des films les plus innovants, importants et précieux du cinéma.