La terreur selon Stanley Kubrick, comme l'indique si bien l'affiche. Shining semble encore échapper à toute véritable analyse et 30 ans plus tard il possède toujours le même pouvoir hypnotique. Et non pas nécessairement par ce qu’il raconte mais essentiellement par les trésors de mise en scène qu’il recèle, comme un modèle ultime du traitement de la terreur au cinéma qui restera à jamais inégalé. À l’arrivée il transforme un roman horrifico-fantastique moyen voire médiocre (Stephen King n’a jamais été un grand auteur, il est bon de le rappeler parfois), le pervertit et en tire le matériau de base pour une lente et irrémédiable plongée dans un esprit malade. La folie n’aura jamais été aussi belle et terrifiante au cinéma. Ce que l'on peut avant tout remarquer, c'est à quel point Shining se distingue des autres films du genre. Et c’est en partant sur ce ton presque satirique que Kubrick aboutit sur un des films les plus terrifiants. Ne serait-ce que dès la séquence d'introduction filmée en hélicoptère. fluide et lumineuse, mais où déjà la bande son se fait pesante, ou dans cet entretien d’embauche qui brise en quelques minutes l’effet principal de tout film d’horreur : l’effet de surprise. En effet, non seulement on nous dévoile les grandes lignes de ce qui va se passer dans le dernier acte mais on nous dit également pourquoi. C'est assez risqué, mais Kubrick parvient à modeler tout cela afin qu'on retienne notre souffle tout le long du film. La question n’est plus de savoir si Jack Torrance va tenter de massacrer sa famille à la hache, ça on le sait, mais plutôt comment on va en arriver là. Le réalisateur va d'ailleurs mettre de coté le fait que l’hôtel est installé sur un cimetière indien, chose essentielle pour King, et il va rappeler le fantastique comme un pied de nez magistral. Ce que l'on voit avec Torrance et sa famille, s'agit-il bel et bien de fantômes ? Tout le porte à croire tant la folie l'emporte, jusqu'à cette fameuse scène dans le grade-manger qui qui sème le trouble en amenant une certitude, qui pourtant sera remise en question jusqu’à la fin. Ça, c’est vraiment très brillant. Kubrick remet sans cesse le spectateur en question. Il lui donne les clés pour les reprendre ensuite, autre élément créant un malaise niveau de la peur, il ne se contente pas de jump scares, mais bel et bien d'une atmosphère terrifiante avec des images absolument traumatisantes. De plus, chaque déplacement se traduit à l’écran par une fluidité extrême couplée aux grands angles de Kubrick qui construit à chaque déambulation de Danny sur son tricycle un espace physique et mental gigantesque, et par extension effrayant, incontrôlable. Il faut y ajouter des images d’une rigidité absolue dont la symétrie parfaite des cadres ajoute un peu plus au sentiment d’effroi par le décalage. Shining doit aussi beaucoup à son trio de comédien. Même si Shelley Duvall en fait parfois un peu trop, son visage transpire la peur et ça crève l'écran. Le jeune Danny Lloyd, aujourd'hui vu comme un des enfants les plus effrayants du cinéma, mérite bien cette place. Et le summum de l'incarnation de la folie, Jack Nicholson, qui joue sans doute ici l'un de ses meilleurs rôles. Une interprétation dingue, habitée du début à la fin. Pour la première fois on voyait la folie pure dans un regard, avec ces images inoubliables où il n’oublie même pas quelques traits d’humour presque malsains. Ainsi, Shining est à ce jour un des films les plus effrayants de l'histoire du cinéma. Véritable pépite, Shining est non seulement une perle de l’horreur, qui crée une terreur durable sans effet facile, mais c’est un tour de force technique de chaque instant qui ne sera sans doute jamais égalé.