Adaptation d'un classique de la littérature coréenne, "Les Pommes de terre" est une sorte de "Strada" égarée du côté du Pays des Matins Calmes à l'époque de l'occupation japonaise - impression à laquelle l'air de saxophone qui revient de façon récurrente n'est pas étranger. Sauf que Kim Sung-ok n'est pas tout à fait Fellini. Son film, appliqué et inspiré des oeuvres "sociales" de Mizoguchi, témoigne d'un réel savoir-faire mais garde toujours un côté prosaïquement démonstratif. Sauf aussi qu'à la place d'un Anthony Quinn herculéen chez Fellini, on a droit à une loque intégrale, soi-disant fils de noble, fainéant qui ne pense qu'à manger, boire et dormir (Ho Chang-gang, dans un rôle vraiment pas valorisant) pendant que sa femme se tue au travail, sombre dans la mendicité et la prostitution et, finalement, meurt pour éponger ses dettes. Là est le coeur du message politique du film: dénonciation radicale du cynisme de la classe dirigeante, brutalement accusée de sacrifier à ses appétits le peuple coréen, livré à l'exploitation de l'étranger - dont la figure principale est ici chinoise, mais dont il est clair qu'il s'agit avant tout du Japon. Symbole de cette déchéance et des souffrances d'un peuple confronté à l'une des pires périodes de son histoire, la figure tragique de Yoon Jung-hee, parée de toutes les vertus, n'échappe pas au côté caricatural qui marque tout le film, mais porte malgré tout l'ouvrage par le mélange de beauté, de fragilité et de force intérieure qu'elle insuffle à son personnage. Et dire que c'est cette même actrice, figure légendaire du cinéma coréen, qu'on retrouvera quarante ans plus tard incarnant Mija, la vieille dame héroïne du magnifique "Poetry" de Lee Chang-dong!