septiemeartetdemi.com - Les Chiens ne sont pas un film fantastique. C'est un drame des plus ordinaires, et pourtant il s'assimile, sans qu'on sache trop pourquoi, au domaine du fantastique. En ça, le film rappelle énormément le style de Jean-Pierre Mocky, surtout dans Ville à vendre. Il fait pourtant bien attention de s'enfiler lui-même la camisole de force en s'obligeant à ne pas sortir d'une petite ville et de ses médias. C'est là encore très mockyen... Appelons donc cette ville Mockyville.
Mais la création d'Alain Jessua va encore plus loin en cela que c'est carrément une dystopie. Une dystopie qui porte sur une société où tout le monde a un chien... Et c'est aussi balèze que ça le semble au premier abord, notamment parce qu'on a aucune idée si l'œuvre naît dans un esprit cynophobe affirmé ou cynophile lucide. Elle vient en tout cas clairement d'un esprit cinéphile.
Il y a quelques erreurs dans la représentation des personnages, notamment celui de Victor Lanoux qu'il incarne pourtant avec sa prestance habituelle. Celui-ci est un nouvel arrivant dans Mockyville et il doit s'acclimater à une population qui va s'avérer douteuse et étrange. Il est docteur-inspecteur, quoiqu'il s'en défende. Et tout ça, c'est un filon déjà bien usé en l'année 1979. Le personnage de Nicole Calfan n'est guère mieux rodé ; violée, elle va jouer le traumatisme le temps d'une visite du bon docteur puis sautera du lit guillerette et déterminée à ne pas prendre de chien – car c'est là le nœud de l'histoire : tout le monde prend un chien pour se défendre du crime galopant. Puis, craignant une nouvelle agression, elle va changer d'avis quand bien même elle s'amourache dudit docteur qui, quant à lui, est strictement opposé à cette mode. C'est limite n'importe quoi. On peut mettre cette facilité du scénario sur son objectif, qui est de faire passer tous les gens pour des c**s, mais cela reste un peu faible.
Finalement, ceux qui jouent le mieux leur rôle sont les chiens eux-mêmes, même si l'on doit bien entendu louer l'énorme travail invisible des dresseurs. Les bêtes ne tournent pas que dans des scènes auxquelles leur dressage préalable les préparait. Ce sont des rôles durs, rendus avec une classe immense par la dévotion des acteurs. Chapeau à Calfan et Depardieu surtout, qui sont formidablement à l'aise dans le dressage fictif qu'ils font de leur animal. Non seulement Depardieu est génial dans son rôle d'entraîneur canin, mais il est bluffant lorsque les chiens s'acharnent sur sa veste d'entraînement.
[Spoiler] Mais l'intérêt des Chiens de Jessua ne s'arrête pas là, quoiqu'il s'en serait tiré là avec un résultat déjà honorable. En plus de tout cela, il y a une double morale, qui démarre de part et d'autre de la société. D'un côté, il y a les Noirs, qu'on ségrègue, et de l'autre les chiens, qu'on idolâtre. La mise en parallèle n'est pas neuve, mais l'intégration dans le petit monde politique de Mockyville est bonne. À la fin, une chasse à l'homme (par des chiens) se solde par la mort d'un homme, et on ne réalise pas tout de suite qu'il s'agit d'un meurtre, car cela ressemble tellement à un accident, et le spectateur a été tellement bien entraîné à y en voir un... Et ce meurtre remet tout à sa place : « il n'y a pas de mauvais chiens, juste des mauvais maîtres », nous dit-on. Cela active un mécanisme dans le scénario, comme pour aligner deux roues dentées : en quelque sorte, les Hommes sont des chiens, et les Noirs sont des Hommes...