Tournant majeur dans l'art de faire du cinéma, Citizen Kane n'a pas révolutionné que les possibilités techniques de la mise en scène, mais bien au-delà de ça, à créé toute une approche et tout un champ d'expression neuf tellement plus vaste que l'ancien. C'est un film dont le cinéphile d'aujourd'hui perçoit sans doute très mal la portée, quelque chose dont j'ai même du mal à réellement cerner les contours et les enjeux. Je ne vois donc pas trop comment en parler sans presque faire preuve d'un quelque chose d'insolent, sans prétendre juger d'un monument donc j'ai mal perçu la stature. Aujourd'hui, son emprise technique demeure impressionnante, notamment sa profondeur de champ, la fluidité de son découpage et de ses transitions, ainsi que ses jeux sur la perspective et le regard du spectateur. Des procédés qu'il inventait, et pourtant Welles en offrait déjà l'une des plus belles utilisations que j'ai vues à ce jour. Et puis, Citizen Kane est de nos jours tellement cité comme une référence, comme le parangon du cinéma moderne, que je me suis sans doute trop échiné à comprendre ce statut et à le décortiquer, à décomposer mécaniquement chaque plan et chaque transition. Forcément, le film pâtit de ce regard trop rigide, y perd en force et en naturel, et pourtant, il a demeuré derrière l'étiquette que son succès lui a attribué une force vive certaine. Une vraie vision d'auteur - ce que Welles voulait être, alors qu'Hollywood refusait d'enrayer sa belle machine à rêve par trop de liberté individuelle, par peur de ne plus faire de ses productions des succès immédiats, évidents et universels. Pourtant, le cinéma, sous l'impulsion de réalisateurs comme ont pu l'être Orson Welles, a beaucoup gagné en richesse et en puissance, dans sa capacité nouvelle à dialoguer profondément avec celui qui le regarde, à se défaire de l'étiquette d'artifice, à parler de choses plus subtiles, à falsifier le réel pour accéder à une réalité cachée. Citizen Kane faisait un peu tout ça, et ce qui m'impressionne, c'est qu'il demeure le pinacle au sommet de l'édifice dont il amorçait la construction, film visionnaire qui risque de vieillir aussi bien dans mon esprit que dans l'histoire du cinéma. En lui-même, Citizen Kane est une fascinante plongée dans la vie de Charles Foster Kane (joué par Welles lui-même), magnat de la presse mégalomane inspiré de la vie de William Randolph Hearst. S'il discute instantanément de tous les sujets que son récit effleure (la marque des très grands films), je retiendrais surtout la contamination qui s'y opère entre grandeur et petitesse, entre l'enfance et l'âge adulte des illusions, de la perte et de la solitude. La plupart du temps, j'ai bien moins de respect que le veut la pensée dominante des observateurs du cinéma pour les classiques de l'époque. Mais là, les années ont confirmé l'importance de Citizen Kane pour le septième art, et à l'aune des repères que ma propre cinéphilie m'a donnés (à défaut que celle-ci soit très exhaustive), je comprend déjà tout à fait les galons de chef-d'oeuvre accordés presque unanimement à ce film intemporel.