Comment parler dignement de Citizen Kane lorsque l'on n'a pas de connaissances techniques du vocabulaire à employer en termes de critiques cinématographiques ? Tenter un commentaire et se risquer à passer à côté de ce qui fait de ce film, selon les esthètes critiques, le plus grand de tous les temps ? S'abstenir de le commenter et sous-entendre que seuls les grands initiés du cinéma ont droit à avoir du (des) goût(s) ? Au risque donc d'en dire quelque chose de superficiel car je suis loin d'être une puriste, j'ai envie de parler de Citizen Kane. Cela doit faire un an que je me disais qu'il fallait que je le voie, mais le bond du côté de « ceux qui savent », de ceux qui ont vu ce cultissime du 7ème art, a été long à venir, comme s'il m'eut été nécessaire d'attendre « le bon moment » pour le regarder. Sur le fond, sur la forme, le film est incroyablement ingénieux et inventif. L'enchainement des flashbacks est parfaitement maitrisé, et à aucun moment n'est confus. L'investigation est donc menée avec une grande fluidité, et ce mode de narration où l'on passe d'un point de vue à l'autre nous suspend à l'intrigue. Tout comme ce journaliste (que l'on ne voit d'ailleurs jamais frontalement, comme si son personnage n'était là que pour nous aider à nous-même faire notre propre investigation), nous voulons savoir ce qui se cache derrière la dernière parole du milliardaire. Les images sont splendides, et le parcours de la caméra est d'une beauté rare -probablement encore plus compte tenu l'époque-. Cette virtuosité de la caméra est particulièrement frappante à chaque passage où l'on arrive chez Susan Alexander Kane : ce trajet que l'image fait, depuis l'enseigne lumineuse du cabaret jusqu'à la vue, par dessus la verrière, de la femme affalée sur une table, est un des plus beaux qu'il m'ait été donné de voir. Il me rappelle d'ailleurs la scène d'Il était une fois dans l'Ouest où l'on découvre, à partir de la vue de Claudia Cardinale descendant du train, et après un trajet passant par dessus le toit de la gare, le village en construction. Et que dire du fond ? Citizen Kane c'est l'histoire d'un homme à qui on a imposé une fortune, et qui à partir de cette condition de naissance, a décidé que tout le reste de sa vie serait le fruit de son choix, et celui de personne d'autre. C'est l'histoire, vue sous l'angle de plusieurs de ses proches, d'un homme calculateur qui n'a rien laissé au hasard pour faire de sa vie ce qu'il voulait en faire. Mais la fin, qui est d'ailleurs extrêmement poignante et émouvante, nous révèle que c'est aussi l'histoire d'un homme qui aurait voulu une famille, de l'amour, et qui a passé son existence à combler ce manque. C'est l'histoire d'un homme qui, à partir de ce traineau, de ses 8 ans, a dû se forger une carapace dont il ne s'est jamais défaite et qu'il a emportée avec lui tout comme les flammes ont emporté la planche en bois. Ce dénouement n'est pas si inattendu, mais la manière dont il est amené, tout en subtilité et en poésie, est profondément magnifique. De mon point de vue de spectateur lambda, Citizen Kane est de ces films qui se terminent par une belle boucle, un de ces films qui prend toute son ampleur juste avant que ne sonne le générique de fin, un film accompli en somme.