L’intelligence redoutable de Jurassic Park est de se penser à la fois comme un film et comme une boutique de produits dérivés de ce même film, le parc offrant une mise en abyme brillante de la fiction génératrice d’icônes à décliner sur des casquettes, des gourdes en plastique ou des t-shirts. Voilà pourquoi il s’avère à ce point addictif : il inverse le processus publicitaire pour générer suspense, tension et symboles, il part du magasin à l’entrée du parc pour mieux entacher de boue et de sang les articles, du casque de vision nocturne au logo noir sur fond rouge.
Ce faisant, il se présente tel un complexe d’attractions que nous explorons avec les personnages, un complexe d’autant plus attractif qu’il se dérègle et libère, hors cages et enclos, les monstres qui s’y activent. Steven Spielberg, à l’instar de John Hammond qui ne cesse d’affirmer avoir dépensé sans compter, joue donc sur deux leviers émotionnels : le plaisir pris à découvrir en avant-première un espace de loisirs qui donne vie à nos rêves les plus fous, l’effroi source d’excitation qui résulte du passage de la fiction à la réalité, de la menace encadrée à la menace véritable. Il recourt aux affiches, aux spots télévisés, aux logos pour accroître la véracité d’un lieu fonctionnel, du moins prêt à être ouvert au public, tout en maîtrisant l’imagerie créée, prête à être commercialisée.
Le discours publicitaire passe également par une foi en la puissance de l’image suscitée par la mise en scène des dinosaures au contact des hommes, mise en scène qui ne laisse pas un plan sans trouvailles ni travail de composition apte à solliciter l’imagination du spectateur, puissance décuplée par la musique orchestrale de John Williams et ses thèmes mémorables. La réussite de Jurassic Park repose donc sur l’alchimie des artistes qui y contribuent : le cinéaste Steven Spielberg, bien évidemment, mais aussi son équipe technique et le scénariste qui privilégie l’exploration mêlant horreur et naïveté bon enfant – un mélange des registres que nous retrouvons à la même époque dans le cinéma de Joe Dante. Il recourt au langage cinématographique dans son ensemble pour raconter une histoire et la faire vivre aux spectateurs ; ici la parole est moins explicative – comme elle l’est aujourd’hui dans nombre de blockbusters incapables de conter par l’image – qu’elle ne commente la situation au moment où celle-ci advient comme la publicité commente, tel un aveu dépourvu de cynisme, son propre statut d’œuvre ludique destinée à être déclinée sur divers supports.
Nous sommes loin de la publicité utilisée comme une déviation vers d’autres œuvres appartenant au même système – ce que fait par exemple Disney dans ses productions récentes, ou la Warner dans la suite honteuse offerte à Space Jam… Jurassic Park c’est donc deux en un : assister à un miracle et en même temps déambuler dans les boutiques qui proposent d’en conserver une trace, une copie partielle ; le film est un temple sacré et un lieu de consommation massive, un blockbuster en somme, le meilleur qui soit. Dépenser pour mieux conter.