2012 aura été, en quelque sorte, l’année française de Martin Rosen. Réalisé en 1978 soit quatre ans avant "The Plague Dogs", "Watership Down" ("La Folle Escapade") donne vie à un singulier univers de fantasy, où les atours du conte pour enfants traduisent une vision d’une douloureuse maturité. Curieux tandem que cet écrivain qui a écrit l'œuvre à l'origine de de ce dessin animé particulièrement sombre et violent et ce réalisateur. En France, on est resté un peu à la traîne concernant Richard Adams, auteur de fantasy britannique dont la première et la plus connue des œuvres, "Watership Down", fut un véritable best-seller, adapté et cité en plusieurs médias, et qu’il prolongea par quelques œuvres connexes en un univers original. Martin Rosen, de son côté, est américain, et avant tout producteur (cinéma, télévision, théâtre). C’est d’abord à ce titre et à celui de scénariste qu’il était attaché au projet d’adaptation de "Watership Down", dont la réalisation incombait à l’animateur John Hubley. Or celui-ci n’eut que le temps de travailler sur la séquence d’introduction avant de mourir, incitant Rosen à prendre lui-même le relais. On ne saura sans doute jamais à quel point le film eût été changé si Hubley l’avait dirigé jusqu’au bout, mais ce changement l’a vraisemblablement marqué, au vu de la différence stylistique notable entre les images de Hubley, toutes de lignes primitives, et celles finalement réalisées par Rosen, aux contours plus réalistes. Il faut cependant constater que cette différence de styles, telle qu’organisée par le montage final, trouve facilement sa raison d’être. Le style primitif, proche de peintures rupestres, sied fort bien à ce prologue, qui parle précisément d’origine mythique du monde, de genèse et de cataclysme, et le contraste avec la suite du film, ancrée dans un monde plus contemporain quoique vu sous un angle bien particulier, formule adéquatement les prémices du récit de "Watership Down". Le propos initial de Richard Adams et de Martin Rosen à sa suite est de recréer un univers spécifique, doté de fondations esquissées mais bien présentes, dans un contexte qui nous est à la fois familier et étranger : le règne animal. Les animaux y sont objets d’anthropomorphisme, doués de parole, de pensée et d’émotion, mais aussi de vie en société. En l’occurrence, les personnages principaux sont des lapins de garenne organisés en un système de castes (dont on verra peu, mais la caste militaire suffit à laisser deviner le tableau), dotés d’une langue spécifique (dont quelques idiomes nous parviendront), et même d’une religion, où le soleil nommé Frith fait office de dieu unique. C’est cette base mystique qu’énonce le prologue de Hubley, en même temps que la tradition qui explique ce qu’est aujourd’hui l’espèce lapine : proverbialement nombreuse, mais au tréfonds de la chaîne alimentaire, condamnée à courir vite et à ruser pour sauver sa peau, race de survivants plutôt que de conquérants. De fait, le roman et le film trouvent l’essentiel de leur sujet dans la confrontation d’individus avec un destin commun, prétendument pré-écrit, comme celui-là, un destin de survivants. Suite aux visions apocalyptiques du malingre Fiver, un groupe de lapins mâles fuient la sécurité trompeuse et fermement maintenue de leur garenne anglaise et vont errer à la recherche d’une terre promise. Avant de la trouver à "Watership Down" (authentique colline du Hampshire), ils croiseront d’autres animaux plus ou moins bien intentionnés, d’autres attitudes de congénères face au destin de gibier, des lapines avec qui il faudra bien composer sous peine d’extinction, et enfin une autre garenne sous régime fasciste qu’il ne faudra pas fuir mais combattre. Autant dire que les mignons petits lapins imaginés par Adams n’entrent pas tout à fait dans les standards de notre "Bibliothèque rose" ! Outre la complexité esquissée de ce petit univers qu’on devine calqué sur une société humaine, il est troublant que ce récit d’exode en rappelle si précisément d’autres, comme l’émigration irlandaise aux États-Unis après la Grande Famine des années 1840, ou la fondation de l’État d’Israël. Dans l’ensemble, l’anthropomorphisme a été poussé jusqu’à faire du règne animal un reflet de nos troubles sociaux et politiques, voire de nos rapports individuels à la société : communauté forgée par les peurs, besoin de faire appel à l’étranger (Kehaar l’oiseau au curieux accent), question du sexe comme clé de la survie, dangers de l’abus d’autorité… Rosen, de son côté, non seulement emboîte le pas à cette approche, mais n’hésite pas à lui donner une illustration adulte, qui ferait frémir les associations familiales bien-pensantes (ce qui explique peut-être le retard avec lequel le film arrive en France), et ne parlons même pas des décideurs de chez Disney. Dans le film, on balafre, on mutile, on s’étrangle dans un collet, le sang, les plaies et les infirmités s’étalent sans voile pudique. Le spectacle de cette nature violente a de quoi nous faire imaginer des liens de parenté avec "Princesse Mononoké" de Miyazaki, à ceci près que les apparitions de l’espèce humaine restent, ici, définitivement intruses et marginales. C’est pourtant bien à l’humain spectateur que "Watership Down" s’adresse, en lui renvoyant ce reflet peu réjouissant sous un aspect détourné qu’on aurait préjugé bien innocent. Si les animaux sont souvent, dans le cinéma d’animation, des truchements pour renvoyer au spectateur humain des références plus ou moins édulcorées, Rosen, au contraire, fait passer à travers eux, en permanence, une sourde inquiétude. C’est d’ailleurs toute l’image de "Watership Down" qui se trouve empreinte de cette inquiétude, et de façon plus subtile que la simple exhibition de la violence. Il faut voir comment le film joue avec ses décors, dessinés sur un mode impressionniste dans les moments de calme (traits diffus, couleurs douces), expressionniste quand la tension monte (traits plus durs, contrastes, silhouettes ténébreuses). Même quand ces décors sont figés et vides de personnages, les mouvements de cadre y créent à eux seuls les fluctuations du ressenti : ici un zoom pour faire parcourir en un seul regard les collines anglaises, là des mouvements de droite et de gauche à la recherche d’une menace… La caméra virtuelle s’impose comme un vrai regard qui implique celui du spectateur dans cet univers peint. Vu la vision de cinéaste appliquée avec talent par Martin Rosen, on ne peut que s’imaginer l’œuvre qu’il aurait pu constituer s’il avait persisté dans cette voie. Ce fut pour l’adaptation d’un autre roman de Richard Adams, "The Plague Dogs", qu’il reprit en 1982 la casquette de réalisateur; et après cela on ne le crédite plus, à ce titre, que d’un épisode de série (il coproduisit cependant, de 1999 à 2001, la déclinaison de "Watership Down" en série animée). De quoi laisser penser que cette courte filmographie, faite de deux films marquants de l’animation, n’aura tenu qu’à une rencontre. Le scénario reprend ainsi très fidèlement l'œuvre de Richard Adams : dans les près paisibles du fond de l’Angleterre, vit une communauté de lapins, jusqu’au jour où un terrible incendie menace leur terrier. Un petit groupe décide alors de s’évader, traversant la campagne, à la recherche d’une nouvelle garenne. Grâce à leur courage, ils vont surmonter les obstacles, à la poursuite de leur rêve… Ce film d'animation fut à son époque un des plus grands succès du cinéma britannique. Sous ces airs bucoliques se cache un film sombre (parfois même violent) et dénonciateur autant envers la cruauté faite aux animaux que l'indifférence de l'humain sur la nature mais rapidement on devine que ces lapins (Rêveur est trop mignon) nous représentent aussi. C'est un film d'animation intelligent et toujours très beau malgré la modernisation de l'animation depuis 1978, la musique aussi est jolie. Ce film ne s'adresse certainement pas à un public âgé de 6 à 9 ans. C'est un conte sanglant et dérangeant sur la survie et le risque à prendre pour créer une nouvelle société. Une merveille à découvrir et qui mériterait d'être plus connue en France. Fascinant en tout point, c'est le genre de films d'animation à l'ambiance unique, au récit prenant et sans concessions et à l'esthétique si particulière qui rend le tout unique et étrangement transcendant. Au travers de cette société de lapins, on lit clairement une critique de notre propre société, le racisme, le pouvoir, la domination, la vengeance, la lutte pour les territoires, etc... Quelques scènes sont particulièrement gores. Ne connaissant pas de prime abord l'œuvre d'origine, je m'attendais à un film mignon centré sur des lapins et qui constituerait peut-être un joli conte de Noël mais alors c'est tellement loin d'être le cas. Intéressante production à découvrir en tout cas si vous ne connaissez pas