Conduit dès les premières secondes au travers de ce drame profond, le long-métrage n'a cessé de prendre de l'ampleur au fil des minutes. Pourtant, l'issue de cette histoire nous est révélé d'emblée, avec la voix-off de Joe, évoquant sa propre mort tandis que son corps repose inerte au fin fond d'une piscine sur Sunset boulevard.
Cette adresse représente deux facteurs clés : D'une part elle symbolise la toute puissance de Los Angeles. Et d'autre part, elle symbolise aussi la perte de l'éclat matinal, comme une fleur qui s'apprête à faner pour toujours, en restant persuadée de posséder encore toutes ses couleurs. Il y a donc un procédé métaphorique provenant de cette adresse, comme il y en a un dans le fait de commencer par la fin, ou encore de remonter l'avenue avec un travelling arrière qui renvoie toujours à l'idée de regarder derrière soi à la place de regarder devant soi.
À vrai dire, si pour la star déchue – Norma –, regarder derrière elle lui permet d'oublier qui elle est devenue et de croire en ses illusions, c'est-à-dire de se sauver elle-même ; pour Joe le fait d'oublier de regarder derrière lui causera sa perte, puisque c'est par des balles dans le dos qu'il trouvera la mort.
Après cette entrée en matière marquante et sa richesse narrative nous revenons au point de départ, six mois avant la mort du protagoniste, qui continue de commenter ses dernières semaines de vie. Notre homme, Joe Gillis, est un scénariste un brin arrogant, endetté et au bord du gouffre. Et lorsque sa voiture rencontrera un problème mécanique, il se retrouvera malgré lui contraint d'entrer dans une demeure. Cet accident mécanique et cette demeure scelleront son destin.
Cette immense demeure, qui paraît comme un château surplombant les falaises de Californie, abrite deux personnages complexes. Joe les découvrira un à un. Le premier, Max, sera un serviteur dont on ne comprendra jamais véritablement les intentions. Il apportera toujours la sensation à Joe d'être épié, et une étrange relation se nouera entre eux deux, mais une barrière les séparera toujours. Cette barrière c'est Norma, la Maîtresse de maison. Ancienne star oubliée et qui n'arrive pas à se remettre de la perte de célébrité, elle dicte la vie dans son antre, cette dernière étant d'ailleurs à son Image : L'intérieur sera très soigné, vestiges d'une gloire passée, avec ces divers tableaux et photos aux effigies de la légende-vivante. Par contre, l'extérieur sera rongé par le temps qui passe, comme un corps étique et faible.
Dans cette maison, suite à un concours de circonstances, Joe devra y vivre, se coupant de toute relation extérieure. Une grosse partie du film va donc être consacrée à l'évolution du personnage dans ce lieu mystérieux où les relations deviendront ambigües et où un malaise constant se fera ressentir. La narration, bonifiée par cette voix-off qui continue de nous en apprendre d'avantage, se révèlera très poétique : Envolées lyriques faisant penser à de la littérature, bercées par des musiques de choix en fond, comme un morceau de piano du récital de Bach (Toccata et fugue), qui correspondent à la noirceur du film et à la condamnation inéluctable de Joe.
Le film ne se prive pas d'aborder un tas de thèmes intéressants : L'amour, la fierté, la folie, le mensonge...
Effectivement, Max, le serviteur, sera le premier à témoigner cet amour envers sa maîtresse, dévoué pour la vie. Joe caressera aussi ce sentiment amoureux. Il rencontrera cette jeune femme – Betty –, avec qui il partagera des moments doux et romantiques. Mais jamais on ne le sentira respirer cet amour. Le personnage paraîtra étouffé dans cette maison, utilisé comme un jouet des mains de Norma. Finalement, que veut Joe, réellement ? Nous ne le saurons jamais. Il a quitté une prison pour en rejoindre une autre, et on comprend que rien ne peut le satisfaire, ni le sauver, dans cette Californie désolée.
Toute cette ambiance d'influences psychologiques contribuera petit à petit à ancrer les personnages dans leur bulle détestable. La folie s'imposera de plus en plus comme la seule issue possible pour éviter que la bulle explose. Cette folie sera étroitement liée au mensonge, qui parcoure tout le long-métrage. Dans chaque scène un mensonge est prononcé, et la première victime de ces non-dits sera Betty. Sa jeunesse et sa naïveté apporte beaucoup de charme au film et rajoute une innocence et un côté bienveillant à cet aspect très sombre des autres personnages.
Chaque passage du film ne cessera de gagner en intensité, de révéler un ensemble plus cohérent et tragique que jamais. Tout ceci pour arriver à une séquence finale d'une puissance émotionnelle forte, avec cet escalier, symbole d'ascension, emprunté à l'envers. Billy Wilder livre un film qui s'impose comme une prouesse artistique et narrative. C'est la marque des chefs-d'œuvres intemporels et celui-ci en est un, clairement, pour ses qualités cinématographiques et la passion qu'il engendre chez le spectateur.