Entre deux films de gangster, deux thrillers qui collent à la peau de ce réalisateur, là où on le connaît le mieux et qui font sa renommée, en 1993, Martin Scorsese se détache de son univers et adapte le roman d'Edith Warton, "Le Temps de l'innocence", romance contrariée entre deux êtres troublés dans la société new-yorkaise de la fin du XIXème siècle. Ayant lu ce roman il y a plus de deux ans maintenant, j'ai appris par hasard l'existence de ce film et me suis jeté dessus sans hésitation. D'une part, j'ai apprécié le roman, d'autre part, la fiche technique était prometteuse. Daniel Day-Lewis est un de ces acteurs à part, qui semble déconnecté du monde hollywoodien, totalement sur-impliqué dans ses rôles et ayant un talent qui n'a d'égal que son humilité et sa discrétion. Ici, il ne déçoit pas. Daniel Day-Lewis est Newland Archer, comme dans chacun de ses films, il est le personnage qu'il joue et non plus lui-même. Cette implication est remarquable et rend à l'image une sensible impression de vérité. Tout en sobriété, Daniel Day-Lewis incarne cet homme tiraillé entre deux femmes, entre deux mondes, entre la liberté fantasmée et le conformisme raisonné. Le déchirement intérieur qui se joue tout au long du film est d'une puissance sensationnelle où la passion surgit avec fureur, où la tristesse devient envahissante, les joies trop monotones, l'amour trop banal, la vie trop conformée. Terrible destin que celui de cet homme et de cette femme, terrible monde que cette aristocratie new-yorkaise où les personnes évoluent, mine de rien, dans un univers de vipères silencieuses, de coups bas et de calculs pervers. Même la plus stupide et la plus innocente de ces personnes ne saurait rester de marbre et le secret le mieux enfoui ne saurait rester muet. Scorsese a su rendre l’entièreté de ce monde, toutes ses vérités comme Warton les a décrites, toutes ses failles, ses rythmes, ses personnalités et ses codes. Le réalisateur nous plonge dans ce monde avec une formidable dextérité, et l'on remarque qu'un univers comme celui-ci se rapproche indiciblement d'un monde comme celui des "Affranchis" ou de "Casino". Là où on ne tue pas par l'arme, on achève par le mot ou le non-dit, pour qu'enfin le destin promis de deux êtres soit accompli au détriment de la passion et de l'envie de bouleverser les codes d'un monde embrigadé dans ses petites manières qui n'intéressent que ceux qui n'ont pas trouver mieux pour intérêt. Film splendide et fidèle au roman éponyme, Scorsese a réalisé un film en velours, puissant, mystérieux et attachant.