Entre deux monuments du film de gangsters, Martin Scorcese s'essaie au drame d'époque ! Un choix étonnant a posteriori... et qui s'avère pourtant être une franche réussite, à tel point que l'on regrette que le réalisateur ne se soit pas penché plus souvent sur le genre. On y suit un avocat dans le New-York des années 1870, qui méprise tout en adhérant à une société rigide et mesquine, et va rencontrer trop tard la femme de sa vie. Dès les premières minutes, le ton est donné : "Age of Innocence" est un film superbe. Des décors et costumes à tomber par terre (et les protagonistes changent pratiquement de vêtements à chaque scène !), une photographie chaleureuse qui apporte beaucoup d'intimité à certaines séquences, un montage percutant, et une mise en scène audacieuse. On est ici en effet très loin des films d'époque plan-plan, la caméra de Scorcese se baladant avec virtuosité dans des intérieurs chargés du 19ème siècle. On y retrouve d'ailleurs quelques "tics" du réalisateur, tel ce plan séquence où l'on suit Daniel Day-Lewis arrivant à un bal, écho au célèbre plan similaire de "Goodfellas" lorsque Ray Liotta fait entrer sa petite amie dans le restaurant... et son univers. Il y a aussi quelques références visuelles (volontaires ?) au "Guépard" de Visconti, à ceci près que le propos en est l'inverse (ici ce n'est pas l'aristocratie qui disparait, mais la bourgeoisie qui s'enlise). Mais à la différence de ses films de gangsters vertigineusement rythmés et explicites, Martin Scorcese signe là une œuvre sobre et élégante, évoluant tout en subtilités et en non-dits. Il n'est pas rare d'y voir des éléments clés de l'intrigue évoqués à travers un regard, une ellipse, ou un dialogue en apparence anodin. Et il faut avouer qu'il est très agréable de voir ce type de cinéma, qui ne cherche ni à prendre son spectateur pour une andouille en le tenant par la main en permanence, ni à le mépriser. Dans tout ceci, Daniel Day-Lewis est comme souvent excellent en avocat contraint d'accepter cette société où tout n'est que prétention, superficialité, et ragots. Mais surtout en homme brisé, aimant une femme qui lui est interdite. Michelle Pfeiffer est quant à elle magnifique en comtesse qui détonne dans cet univers, et à la vie plus complexe qu'elle ne laisse paraître. On sera en revanche plus mesuré avec Winona Ryder, qui a tendance à exagérer son rôle de grande naïve dans la première partie. Heureusement, la seconde permet d'entrevoir un personnage plus malin qu'elle n'en a l'air. Beau et intelligent, "Age of Innocence" demeure ainsi, malgré son échec commercial à sa sortie, une très jolie réussite.