On le sait, le road-movie est souvent une ode à la liberté, et n'a pas attendu Thelma et Louise pour le devenir. On comprend alors pourquoi c'est un parfait terrain d'expression pour la mise en scène de psychopathes libérés de tout carcan émotionnel ou éthique (Malick l'avait compris dans Badlands, Tony Scott dans son chef-d'oeuvre True Romance, ainsi entre autres qu'Oliver Stone le comprendra par la suite pour Natural Born Killers). D'autant que d'un point de vue purement pragmatique, le déplacement incessant des meurtriers du road-movie permet de retarder l'échéance de leur capture ou de leur mort. Voilà qui permet souvent de réussir ces odyssées sanglantes, qu'elles deviennent polémistes ou romanesques, comme les films précédemment cités, humanistes comme par exemple le Monde parfait d'Eastwood, ou au contraire, plus philosophique comme ce Kalifornia. L'entreprise s'avère ici d'un pessimisme très marqué, dans sa volonté de casser les codes de pensée rassurants qui font du psychopathe un sujet non seulement différent et perçu comme tel, mais également pourvu d'une logique peut-être impossible à déchiffrer, mais dont on peut déterminer le point de départ et comprendre ainsi les causes de ses déviances. Kalifornia fait ainsi de l'humanité un ensemble incohérent et dé-solidaire, qui rend illusoires une compréhension poussée et sure de l'autre, ainsi que des repères stables sur l'Homme et son comportement. Voilà qui rend son dû à l'immense et indépassable solitude morale qui est notre lot commun, ce qui s'apparente assez à mes idées du moment et a donc logiquement trouvé un écho en moi. C'est peut-être de son propos et dans l'incapacité du public à se l'approprier que réside la tiédeur des avis concernant Kalifornia, peut-être aussi à cause du manque d'inspiration des dialogues, qui se veulent sans doute trop clairs pour surprendre, ou encore de son manque de virulence, très gênant après un départ plutôt acide, servi en ce sens par un montage nerveux et d'excellentes idées de mise en scène. Je retiens notamment les scènes d'ouverture, très verticales, parfaites retranscriptions du détachement émotionnel de Early Grace, aka Brad Pitt. Parlons donc des acteurs, à présent, et commençons par l'ami Brad, que l'envie de voir dans un rôle de cinglé m'a poussé à découvrir Kalifornia. Choix judicieux car même à l'époque, celui qui cherche ici à détruire son image de sex-symbol, était impressionnant. Sale, insaisissable et aussi dérangeant que dérangé, il est la parfaite image du déséquilibré incompréhensible voulu par le message de Kalifornia. Il couple toutes les formes de jeu (corporel, facial, vocal) pour dessiner un personnage inoubliable et dont les apparitions ne manquent pas d'apporter le surplus d'âme qu'un autre n'aurait pas su amener. Un de ses tout meilleurs rôles, avec Snatch, Jesse James et And a river runs through it. On ne peut pas dire autant de bien de David Duchovny, assez fade en contrepoint effacé et pas assez désabusé lorsque ses illusions s'envolent. Michelle Forbes est quant à elle plutôt juste, et remplit honorablement sa part du marché. Enfin, la jeune Juliette Lewis (20 ans seulement) semble s'échauffer pour Tueurs nés, sorti un an après de manière bien plus bruyante (bien que je n'ai personnellement pas adhéré au film d'Oliver Stone) et dans lequel elle jouera à nouveau la compagne d'un tueur en cavale. Son surjeu, dans ce rôle de femme stupide et soumise pas émergée de l'enfance, est insupportable, et plombe le métrage à chacune ses apparitions. Un casting inégal mais globalement très marquant, au contraire du récit, classique et trop balisé. La mise en scène de Dominic Senna, est en revanche très bien maîtrisée et même exemplaire si l'on tient compte du fait que Kalifornia est la première réalisation de l'américain. La photographie apporte elle aussi sa pierre à un édifice équilibré, qui sait se redonner de l'air par de jolis plans larges typiques du genre quand le besoin s'en fait sentir. Bref, Kalifornia est peut-être trop conventionnel ou trop appuyé sur le jeu de Brad Pitt, mais pas désagréable pour autant, et on peut autant saluer le parti pris que sa mise en images. Je m'étais dit que Brad Pitt s'était à ses débuts assez souvent englué dans des navets dont Kalifornia faisait partie ; et bien c'est faux !