Dans la Ligne de mire mêle étroitement deux sujets qui, considérés de façon séparée, s’avèrent des plus passionnants : le premier relate l’acharnement d’un vétéran à reprendre du service afin de corriger l’erreur qui, depuis quelques décennies maintenant, n’a de cesse de le hanter. Grand amateur de jazz et séducteur occasionnel, Frank Horrigan se voit confronté aux limites que lui impose son âge : preuve qu’une volonté de fer ne suffit pas toujours, il suffoque après une course-poursuite, est charrié par ses camarades de bureau, souffre du moindre changement climatique. La remise en circuit du Dirty Harry donne lieu à de nombreuses scènes assez cocasses, et l’humour perce la carapace bougonne avec succès. Manque cependant l’émotion que seul un cinéaste comme Clint Eastwood lui-même serait capable d’apporter à son personnage : Wolfgang Petersen, en bon faiseur, se montre soucieux de maintenir la tension présente à l’écran, au grand dam de la profondeur psychologique. Un constat similaire pourrait être tiré s’il nous fallait aborder le second sujet, politique cette fois : comment un ancien agent a-t-il opté pour le costume d’assassin après la trahison de son co-équipier, de l’organisme sur les ordres duquel il agissait, du pays qu’il pensait défendre. En s’intéressant à la radicalisation d’un homme qui s’est senti trompé par ses croyances et l’idéologie pour laquelle il consacrait sa vie, le film s’aventure en zone à risques, bien que le traitement qu’il réserve à cette thématique demeure très hollywoodienne. Nous ne voyons jamais les motivations du grand méchant Malkovich se transformer en bombe à retardement pour l’ordre institutionnel établi, alors que son expérience et ses revendications l’exigeait. Ainsi le réalisateur délaisse-t-il de manière grossière la profondeur des enjeux politiques pour n’assurer que leur versant ludique : orchestrer la guéguerre entre deux acteurs fort convaincants. En résulte une œuvre fonctionnelle qui remplit son cahier des charges, assure le show, mais ne va jamais plus loin. Mené par la composition elle aussi fonctionnelle d’Ennio Morricone, Dans la Ligne de mire fonce droit au but et le fait avec le talent d’un bon et habile faiseur. Au détriment, peut-être, de la charge polémique et du fétichisme morbide disséminé çà et là, qui en auraient fait, sans nul doute, un grand film.