Certains voient dans les films de Kieslowski de somptueuses paraboles sur la réalité du bien et du mal, d'autres une réflexion sur le but de l'Humanité, d'autres encore une simple mais délicate observation du comportement des êtres. Mais ce qui est certain, c'est que ce cinéaste a un talent impressionnant, voire un don pour montrer la vie telle qu'elle est, sans exagérer ni atténuer quoi que ce soit : c'est cela le réalisme, et non une technique cinématographique particulière.
Le réalisme de ce premier volet de la trilogie des trois couleurs est à ce sens impressionnant : un accident de voiture, banal, tout bête, tout simple. Et cet événement enlève impitoyablement trois vies : un célèbre compositeur et sa petite fille, mais aussi et peut-être plus encore sa femme. En effet, autant les deux qui sont morts physiquement resteront à jamais ce qu'ils étaient avant l'accident, autant celle qui survit doit se résigner à continuer la vie sur Terre.
Alors pourquoi les trois couleurs ? Et pourquoi le bleu ? C'est une référence à la devise de la France, ce n'est plus un mystère pour personne. C'est donc l'épisode de la liberté. Liberté de Julie qui voit une nouvelle vie devant elle, comme Jack Nicholson dans Profession reporter : la mort comme liberté suprême, pour nous et pour les autres, une délivrance incomparable. Mais désormais, Julie n'est plus qu'une ombre, une ombre silencieuse qui souhaite que l'on enterre ce qu'elle était avec son mari et sa fille. Sa vie n'est plus qu'une succession d'obsessions. Comme Hitchcock dans Marnie ou Bergman dans Cris et chuchotements, Kieslowski se sert de la couleur pour montrer une obsession à l'écran : le bleu étouffe Julie (une "chambre bleue" et surtout la piscine qui propose une suspension de la réalité). C'est la mort de ses proches, la vieillesse de sa mère et les souvenirs d'enfance (les souris...)
Mais l'obsession est surtout dans la musique. Dans la plupart des films de Kieslowski, la musique trouve une place essentielle, et avec de nombreuses références à de grands compositeurs, notamment l'illustre Van den Budenmayer (qui n'a jamais existé !!!), elle est le lien entre la vie est la mort (elle entraîne la mort de Weronika, mais sauve la vie de Véronique), elle est ce qui marque le passage sur la Terre du compositeur, mais aussi ce qui l'y retient : comme si, à l'instar des mythes antiques (l'obole de Charon par exemple), il fallait que sa musique soit achevée pour le repos de son âme... Cette musique, pourtant symbole de liberté, enlace et étreint Julie de manière à ce qu'elle ne puisse s'échapper.