Godard est un cinéaste très talentueux, un défricheur d’images inédites, de sons inouïs, de rythmes nouveaux… Avec toujours cette obsession récurrente : comment raconter une histoire neuve? Comment s’affranchir de ce qui a été fait? Son œuvre, qui ne répond jamais vraiment à ces questions mais en pose continuellement d’autres, semble en perpétuelle quête. Mais on a parfois le sentiment que le cinéaste ne désire pas vraiment trouver les réponses, les laissant dédaigneusement à d’autres. Il ouvre de grandes saillies, dévoilant des chemins inexplorés dans lesquels viendront s’engouffrer des générations de cinéastes "suiveurs", explorant les possibles laissés par ces trouvailles. Il semble alors se condamner à monter un escalier sans fin, sans prendre le temps de se retourner et d’apprécier la hauteur où il se situe, le chemin parcouru. Son cinéma tend parfois vers cette performance absurde de monter plus haut uniquement pour aller plus haut. Alors certes, il a réalisé ces formidables "Histoires du cinéma", et quelques autres chefs d’œuvres pleinement aboutis. Mais s’extasier sur un film comme "Hélas pour moi" me semble terriblement emprunté, tant c’est un film bâclé. Obsédé par une idée fixe, des choses à dire, il en oublie la qualité de l’ensemble, nous matraquant de messages, de paroles, de textes, jusqu’à saturation. On sent qu’il se soucie bien peu de tout ce qui ne relève pas de son discours. Et même si les images sont belles et bien filmées, Godard ayant un sens inouï du cadre, comment les apprécier quand nous sommes incapables de les regarder, tant notre concentration est mobilisée de toutes parts par des paroles envahissantes, parfois masquées par d’autres paroles ou sons superposés? On est comme à la pêche, attrapant parfois une phrase (pas toujours très profonde d’ailleurs) ou une image, et le reste du temps, on attend la touche. A la fin, on est tout heureux et on compte nos prises. Mais parfois, la pêche est maigre. Et parfois même, on rentre bredouille…