Ben Affleck s’est essayé à la réalisation lors de "Gone baby gone" avec une éblouissante réussite. Trois ans plus tard, il valide l’essai avec "The town", écartant ainsi l’hypothétique chance qui ne sourit qu’aux débutants. Il ne s’est pourtant pas facilité la tâche, puisqu’il est à la fois devant et derrière la caméra, sans compter sa participation à l’écriture du scénario, adaptation du roman de Chuck Hogan, un best-seller nommé "Prince of the thieves" ("Le prince des braqueurs" dans sa version traduite en français). Attendu au tournant, le succès fut immédiatement au rendez-vous, tant au box-office américain que français. A tel point qu’on pourrait presque dire que « Gone baby girl » se voit propulser dans les échecs commerciaux. Mais alors, comment Ben Affleck s’y est-il pris pour passer cet examen de passage sous l’œil attentif de tout le monde ? Eh bien le spectateur n’aura guère le temps de se poser la question. Le contexte est présenté de façon concise, nette et précise, et passe aussitôt à l’illustration en images avec un braquage de banque rondement mené. Un casse qui marque non pas par le mode opératoire, quoique la surprise vient du fait qu’on voit un des malfrats capable de prévenance, mais par les masques utilisés. Des masques qui, j’en suis sûr, resteraient à jamais en notre mémoire si nous étions à la place des témoins malheureux du larcin. Mais voilà : l’air de rien, cette prévenance est l’élément de départ qui va démarquer "The town" des films de braquages classiques. Car "The town" ne raconte pas l’affrontement que se sont livrés la police et les gangsters dans ce quartier de Boston qui détient le record absolu des braquages (banques et fourgons blindés) au km². Enfin si, un peu quand même ! Sinon, où serait le piment des fusillades, des courses-poursuites, et des joutes à la fois verbales (salle d’interrogatoire) et psychologiques (manipulations) ? "The town" raconte aussi une romance. La conséquence de ceci est que le spectateur ne prendra pas fait et cause (une fois n’est pas coutume) pour les flics, mais bel et bien pour les braqueurs ! Enfin quand je dis les braqueurs, je veux surtout dire un en particulier. Mais pourquoi donc un en particulier ? Tout simplement parce que l’histoire se déroule selon la naissance échelonnée de plusieurs rivalités. Alors quand je dis « tout simplement », c’est une façon de parler, hein. C'est vrai, quoi... si on y regarde de plus près, l’histoire était quand même complexe à mettre en œuvre. Pour autant, elle coule de source, et ce grâce à une réalisation maîtrisée, à un vrai sens de la mise en scène, à un montage des plus réussis et à une excellente écriture. Cela donne du suspense, bien renforcé par la bonne et néanmoins discrète bande originale, bref de quoi captiver efficacement le spectateur. Si le récit est si prenant, on le doit aussi à la formidable interprétation des acteurs. Entre un Ben Affleck qui joue à merveille le tiraillement entre les liens avec ses compagnons d’armes et sa belle, un Jeremy Renner haut en couleurs qui place le spectateur dans la crainte de voir tout basculer à tout moment, un John Hamm en agent du F.B.I. férocement tenace, et une Rebecca Hall résolument touchante par sa fragilité et sa sensibilité, les portraits dressés apportent de la variété dans le patchwork des personnalités. Et je ne parle même pas de Fergus Colm (Pete Postlethwaite), bien trop malin pour s’exposer en restant tapi dans son arrière-boutique. Quoiqu’il en soit, nous sommes en présence d’un film bien ficelé, captivant, doté d’un rythme certes inégal mais pas déplaisant. Au contraire, il reflète plutôt bien la vie d’un braqueur fermement accroché au principe de ne pas faire couler le sang, lequel doit se mettre au vert entre deux braquages, choisir ses coups, prendre le temps de les préparer afin que tout se passe au mieux (autant pour lui que pour ses compagnons et… la partie adverse), et… aménager sa sortie. Les préparatifs (ceux des hold-up) ne sont cependant pas montrés à l’écran, évitant ainsi de rallonger le film et de perdre par la même occasion l’attention du spectateur. Mais le spectateur comprend très vite qu’il connait son job. Et en effet, il le connait, donnant ainsi de bonnes scènes de braquages exécutés sous une bonne dose d’adrénaline. Orchestrées au millimètre, elles sont superbement mises en images, laissant transpirer une forte intensité. L’intensité : voilà le mot qui convient le mieux à ce long métrage. C’est ce qui sort "The town" de l’écueil du classicisme. Parce que, malgré la multiplication des rivalités, ce film est classique oui. Mais il est aussi empreint d’une certaine noirceur, sans que la violence ne soit trop excessive. Et en plus de ça, il parait totalement crédible. On m’aurait dit que ce "The town" (ou même le roman de départ) était basé sur des faits réels que ça ne m’aurait absolument pas étonné.