Qu'y a t-il de plus autocentré qu'un artiste ? Leos Carax nous revient à la charge avec un énième cri d'effroi, qui dresse de façon très personnelle son parcours chaotique, son art souvent incompris comme immiscion des choses spirituelles dans le réel, tout ça à nouveau à travers d'amours déchirants, apparemment seul vecteur considéré comme assez puissamment symbolique pour donner à voir de la force de son mal-être par le réalisateur de Boy Meets Girl, de Mauvais Sang et des Amants du Pont-Neuf. Agaçant sur les bords, cette façon de tout subjectiviser sans arrêt, comme si Carax refusait à concéder au Monde quoi que ce soit d'inspirant à filmer pour lui-même. D'ailleurs, Katerina Golubeva, présentée à l'écran comme la sœur de Guillaume Depardieu, est complètement filmée comme un fantôme, et leur relation fait figure d'un onanisme aussi malsain qu'hermétique. Ce qui m'a rendu les deux tiers du films, ceux où le personnage et sa supposée sœurs se sont retirés, profondément désagréables, bien plus encore que Carax ne le veut sans doute lui-même. Dommage, parce que dans un premier temps, le proclamé "enfant terrible" du cinéma français filme avec brio l'irruption terrible et inévitable d'une cassure, d'un traumatisme immatériel dans une vie a priori comblée. C'est là où il dessine de la façon la plus intéressante sa figure de l'artiste maudit, ainsi qu'au début de la rencontre entre le frère et la sœur, où il arrive à tout dévoiler de l'intimité du jeune écrivain, qui se dénude de lui-même, se dissèque pour ne trouver que du vide. Un bref moment, le hurlement silencieux poussé par le petite amie de Depardieu en apprenant qu'il la quitte, capté dans un plan silencieux, m'a vraiment rappelé "Le Cri" d'Edvard Munch, et il faut avouer que pendant une heure, Carax m'a vraiment communiqué ce déchirement mortel et aliénant qui déforme son personnage principal. Mais tout ça, c'était avant qu'il ne commence à se regarder de trop près le nombril, et perde inévitablement mon intérêt dans des séquences inutilement longues, en plus d'être de moins en moins lisibles. D'ailleurs, Carax, qui veut apparemment dire toute la souffrance que lui cause la réception biaisée de son art par les cercles du cinéma, manifeste dans le même temps une certaine suffisance dans un choix de titre qui demeure l'élément le plus provocateur de l'oeuvre : Pola X. Soit l'acronyme de Pierre ou les ambiguïtés, roman d'Herman Melville qu'il adapte, suivi du chiffre romain indiquant que le scénario présenté en est à sa dixième version, une version de travail, en clair. Comment se dévoiler aux autres, si on laisse son travail à l'état de brouillon ? Carax nous dit-il qu'au fond il se fout du public, ou juste que son art ne sera jamais achevé, qu'il n'atteindra jamais l'absolu recherché ? Pas facile d'apprécier, dans tout ça. Heureusement que le talentueux réalisateur a fait amende honorable et s'est réconcilié avec le cinéma dans Holy Motors, son oeuvre la plus marquante à ce jour, et un film dépourvu de l'aigreur dérangeante de ce Pola X pour le moins provocateur.