Ben est paumé. Lorsqu'on lui demande quels sont ses projets d'avenir, il préfère fuir, car il n'est pas à l'aise avec ceux qu'on lui propose. Il se sent oppressé, cloisonné dans un cadre qui ne fait que se réduire et qui l'étouffe. Il n'a aucune idée de ce qu'il veut faire de sa vie et c'est de là qu'il tire un profond mal-être. Ses études à peine terminée, sa vie paraît déjà toute tracée, mais pas par lui : par d'autres. Le Lauréat est un film qui creuse et dévoile un véritable écart entre générations. D'abord, il y a l'ancienne génération, où tout est décidé par avance, suivant le schéma traditionnel duquel on ne s'éloigne pas sous peine d'être traité de déchet, de rebut de l'humanité,... Lorsqu’une fille tombe enceinte par exemple, elle doit se marier pour sauver l’honneur entaché, quitte à vivre malheureuse, quitte à perdre de vue ses rêves d'enfant... Toute décision devient irrévocable malgré soi, et l'on se trouve lié à elle sa vie entière. Puis, il y a la nouvelle génération, celle qui se pose des questions, qui remet en cause l'ordre soigneusement établi pour elle, qui sait que quelque chose ne convient pas, mais n'a aucune idée de quoi. Elle se doute que le moule n'est pas adapté pour qu'elle y rentre. Quelques irrégularités, reliefs illogiques et inadaptés… Tout cela ne peut être juste… Les appels de la conformité sont tout autour et il est difficile d'entendre autre chose par delà ces sollicitations incessantes. Enfin, il y a le passage de témoin entre les deux générations. Les vieux organisent les unions des jeunes à leur place, décident de ce qui serait mieux pour eux, parce qu'ils n'ont pu eux mêmes faire leurs propres choix à cet âge. C'est un film qui s'adapte à toutes les époques, mais qui fait évidemment particulièrement écho à celle dont il est le contemporain. Ben subit intérieurement tout le poids de cette lutte générationnelle. Lorsque Mrs Robinson s'empare de lui comme on s'empare d'un élixir de jouvence, elle l'accable encore plus et lui fait perdre les repères qu’il se cherchait. Elle se veut être sa propre fille, se sentir belle et jeune dans les bras d'un homme qui pût être son gendre. Elle souhaite revenir sur des choix de vie qui n'ont pas été les siens et reprendre le contrôle. On comprend qu’elle ne s'intéresse à Ben qu'une seule fois dans tout le film, au début, alors qu'elle essaie de le séduire chez elle jusque dans la chambre de sa fille. Lui, profite de ce fantasme d'adolescent devenu réalité pour se tromper et reporter toujours ses interrogations intimes. Jusque l'apparition d'Elaine, seule autre représentante de la jeunesse dans le film, Ben est à l'arrêt, captif de la toile tissée par Mrs Robinson, ses parents et leurs congénères. Elaine vient le libérer, donner une raison nouvelle de tout remettre en question, donner un sens à sa vie... Avec elle, il sera dans l'action, sans peur de se dévoiler enfin et de tout envoyer en l’air. La réaction est violente. Il comprend tout grâce à la larme versée par Elaine lors de leur premier rendez-vous. En agissant sur les ordres de Mrs Robinson pour préserver leur relation secrète, il refuse d'abord catégoriquement de séduire sa fille et est odieux avec elle. Cette larme lui fait prendre conscience de son erreur... Le désir qu’il ressent pour cette femme mûre n’est qu’une illusion et c’est Elaine qui lui rend la vue. A partir de ce moment, Ben reprend ainsi le contrôle... maladroitement. Le terrain est inconnu, personne ne l'a foulé avant lui, c'est un précurseur, ce qui explique certains de ses faux-pas. La fin du film résume alors parfaitement tout le propos du film et laisse le spectateur sur un curieux doute. Alors que les deux personnages devraient être heureux de s'être libéré du joug de leurs parents, quelque chose semble les en empêcher. Le plan final est génial car il annonce que la lutte ne fait que commencer, et ils le savent tous les deux...