Le versant américain du cinéma de John Schlesinger a à voir avec la notion de justice, celle subordonnée à la loi et qui s’avère souvent défectueuse, celle que se donne l’individu conscient des limites de la loi de son pays et n’hésitant pas à l’enfreindre. Ses films proposent une articulation entre ces deux sphères, entre justice étatique et justice personnelle, conformément au mythe du pionnier fondateur soucieux de préserver ses droits dans un monde défini par le chaos et la duplicité. Marathon Man s’inscrit pleinement dans cette thématique, et pense la course à pied comme un ressort de sa propre structure : le récit privilégie les sauts temporels, compose une sorte de récit-choral autour de protagonistes – les deux frères – et d’un antagoniste – le méchant nazi – dont nous attendons avec impatience la confrontation. Néanmoins, disons-le sans tarder, la première partie du long métrage se plaît à égarer de façon artificielle le spectateur dans un dédale de couloirs, de pièces et de pays sans réussir, en contrepartie, à l’intriguer. Quelques plans bien composés, comme l’agression de Doc derrière le rideau, restent en mémoire ; mais les fils se tressent assez mal, et quand vient la révélation, nous n’y croyons guère. Tout cela paraît quelque peu exagéré, et nous nous disons qu’un scénario habile n’équivaut pas forcément à l’habileté de sa concrétisation à l’image. De bons acteurs, aussi attachants qu’énigmatiques, sauvent la mise et retiennent l’attention du spectateur, jusqu’à un dernier acte brillant et haletant. John Schlesinger est un cinéaste qui sait filmer la ville et son caractère étrange, pour ne pas dire surnaturel : un homme au regard vitreux, un landau couvant une poupée à retardement, un criminel de guerre reconnu dans la rue et interpellé comme une bête monstrueuse, une course-poursuite entre deux joggers – en ouverture de film – dont la raison nous échappe… La ville New York est captée dans son atmosphère anxiogène et brutale : deux automobilistes se percutent avant de frapper une citerne d’essence, Babe est moqué à chaque fois qu’il quitte et regagne son domicile, sa petite-amie se définit par sa duplicité, tout comme le collègue de Doc. Le film court un marathon contre la fausseté, le mensonge et l’oubli, pour l’honnêteté et le sentiment de justice individuel. Une œuvre noire qui orchestre la rencontre entre deux excellents acteurs – Dustin Hoffmann et Roy Scheider – au service d’une mise en scène nerveuse et efficace.