"Le diabolique Docteur Mabuse" (sorti en 1960 en Allemagne de l'Ouest et en 1961 en France) est le dernier film (allemand) de Fritz Lang, et le deuxième que je vois après "Règlements de comptes" (avec Glenn Ford et Gloria Grahame) (période américaine).
Le personnage Docteur Mabuse est d'abord apparu sous la plume de Norbert Jacques dans le roman "Dr Mabuse, der Spieler" et sort en 1921.
Docteur Mabuse fait son entrée au cinéma dans la foulée sous la patte de Fritz Lang en 1922 (date de sortie du long-métrage en Allemagne de l'Ouest) dans un de ses films phares, "Docteur Mabuse, le joueur", avec dans le rôle titre, Rudolf Klein-Rogge (acteur fétiche de Lang qu'on retrouve dans "Les Nibelungen", "Metropolis" et, bien sûr !, "Le testament du Docteur Mabuse" notamment), et son prolongement, "Le testament du Docteur Mabuse" (1933).
"Le diabolique Docteur Mabuse" a failli jamais se concrétiser car Lang était en désaccord avec son producteur Arthur Brauner : Fritz sortait de l'éprouvant tournage du "Tombeau hindou" et voulait faire un film simple. Brauner a insisté et lui lança ce défi, ce que Lang a relevé sans aucun problème paraît-il.
Le dernier volet de la franchise "Mabuse", avec comme titre original "Die tausend Augen des Dr Mabuse", est transposé dans le monde des années 1960, s'inspirant d'un scénario original de sa première femme, Thea von Harbou, alors décédée.
Synopsis : différents personnages aboutissant dans un hôtel sont la cible d'un présumé-tueur, mort depuis longtemps, le fameux Dr Mabuse. Le commissaire mène son enquête.
Dans ce "Mabuse", il n'y a pas de personnage défini particulièrement. Dr Mabuse est un concept et il s'agit d'une idée remarquablement bien appropriée par Lang. Ici, le metteur en scène ne donne pas de visage, mais plutôt une organisation construite autour de ce que Mabuse avait pu faire dans le passé. En cela, Mabuse pose les bases du premier James Bond (ce dernier aura affaire au Spectre, une organisation criminelle dans "Dr No", "Thunderball", "We only live twice"...) et peut se targuer d'être la première, et sans doute pionnière (si je ne me trompe pas !), connue au cinéma.
L'organisation Mabuse veut contrôler tous les personnages de l'hôtel et les différentes prises de vue des caméras (de l'hôtel, tout particulièrement) appuie le sentiment d'opressement voulu par Lang. Mabuse a envie de tout contrôler et montre, à travers un scénario riche et dense, son pouvoir d'autodidacte, son autorité sur, finalement, le monde, représenté ici par l'hôtel. En Mabuse, on peut voir l'ombre d'Hitler, et ses desseins destructeurs.
Le final nous révèle bien des choses, et, bien avant les années sécuritaire (après 2001 : quatre décennies plus tard !!!), surtout, les méfaits de la télésurveillance. Quel chapeau... Monsieur, pardon !, Maître Lang !!!
L'organisation Mabuse et le scénario (avec ses personnages hauts en couleur et diamétralement bien esquissés, travaillés et fignolés) sont donc bien basés sur les théories freudiennes, à savoir la psychanalyse en général.
Du côté des interprétations, le casting, équilibré à la perfection, est merveilleusement bien dirigé. Il est dominé par l'incroyable Wolfgang Preiss, dans l'un de ses premiers rôles !!!, (le chef de Mabuse), hanté à jamais par l'incarnation de son personnage. Vu par la suite dans "Le jour le plus long", "Le train" (avec Lancaster) et rejoint les stars de "Un pont trop loin". Dans le rôle du commissaire, il est appréciable de reconnaître Goldfinger alias Gert Fröbe (le méchant dans le Bond du même nom), toujours dans le juste ton. Suivent Peter Van Eyck (déjà connu : "Le salaire de la peur" de Clouzot, "Dossier secret" de Welles), légèrement effacé, Dawn Addams (vue dans "Chantons sous la pluie" et "L'éducation sentimentale") et Werner Peters (présent lui aussi autours d'une pléiade de stars dans "La bataille des Ardennes"), convaincants.
Il n'y a quasiment aucune musique dans ce film, rendant encore plus oppressant l'atmosphère qui s'en dégage. Les moments de "parlotte" et de suspense sont très bien cadencés et permettent de suivre le fil conducteur dans une lancée continue. Perfecto !
Le montage est parfait et les plans se suivent de manière idéale, quasiment sans plongées ou contre-plongées, toujours parallèles au sol. Vraiment très appréciable de la part de Maître Lang. Surtout devant un noir et blanc épuré, stylé et magnétisé : le choix des couleurs est bien utilisé et cela apporte une fraîcheur inespérée. Et ça, j'ai adoré.
La respiration de "Die tausend..." est très bien menée et Fritz Lang arrive à insuffler son rythme dans un thriller méticuleux, soigné, et des plus aboutis. Sa mise en scène englobe casting, musique, montage, couleur et fait de ce thriller l'un des meilleurs que j'ai jamais vu. Et ce dans cette fraîcheur too much revigorante.
Le thriller allemand par excellence... .
En reprendrez vous amis spectateurs ?
Notes. Premièrement, la différence de cinéma entre Lang et d'Hitchcock. Lang avance grâce à ses plans parallèles au sol et Hitchcock maintient son suspense. Dans "Règlements de compte" et "Die tausend..." (les deux seuls que j'ai vus), Lang préfère rester à hauteur de ses personnages pour oppresser alors que Sir Alfred passe par toutes les techniques imaginables (gros plans/plongées/travellings...) qui lui est propre à chaque film. Dans "Vertigo", il privilégie la plongée, dans "Fenêtre sur cour" les gros plans, pour "Les oiseaux", ce sera la plongée, et pour "Psychose", il utilisera le travelling vertical pour la scène culte de la douche pour ne citer que ceux là. Pour finir, il s'agit de deux méthodes différentes qui fonctionnent à merveille. Ce que je préfère ? Les deux. Pour plus d'explications, ouvrons un forum.
Deuxièmement, je tiens à rendre un hommage au Père de la science-fiction moderne, celui qui a réalisé le mythique "Metropolis" étant donné que "Le diabolique Docteur Mabuse" est son dernier film. Re-citons "Les Nibelungen" et "Dr Mabuse" pour sa période allemande, mais aussi "M le maudit" son premier long parlant. S'ensuit le non-moins connu "Furie" et le western "Les pionniers de la Western Union" avec John Carradine pour sa période américaine et l'un de ses derniers allemands avec "Le tombeau hindou". Il jouera son dernier rôle marquant avec le phénomène B.B. dans "Le mépris".