« Tirez sur le pianiste » est le troisième film que je vois de François Truffaut.
Le premier était « La mariée était en noir ». Jeanne Moreau, charismatique à souhait, campait une femme vénéneuse qui tuait les hommes qui ont prétendument assassinés son futur-mari lors de son mariage. Une interprétation sans fausse note de la part de la meilleure actrice du monde (selon Orson Welles) suivie par des seconds couteaux d’époque bien affûtés : Denner, Bouquet, Brialy et Lonsdale. L’ambiance, délétère à souhait (d’autant que je m’en souvienne), était maintenu d’une main de fer.
« La femme d’à côté » (vu en mars dernier sur Arte) est pour moi la deuxième rencontre avec François Truffaut. Il s’agit pour lui de son avant-dernier film. Toujours avec sa femme fatale (Fanny Ardant, sa femme à la ville qui jouera dans son dernier et non-moins connu « Vivement dimanche »), Truffaut imprègne son film en un huis-clos glacial en parvenant à ses fins : capter les personnages pour mieux encadrer son scénario. Ce film raconte la liaison dangereuse de deux anciens amants terribles aujourd’hui mariés. Dans le rôle de l’amant, Depardieu, note ogre de talent national. Le couple Gégé-Ardant est tellement réussi que la belle Fanny irradie l’écran comme jamais. Une belle réussite du réalisateur en somme.
Pour le 80ème anniversaire de sa naissance, Arte a diffusé les grands films de François Truffaut en mars dernier. J’en ai donc enregistré quelques uns pour pouvoir vous donner mon opinion. « Tirez sur le pianiste » est le premier. Suivront « Jules et Jim », « Le dernier métro » et « Vivement dimanche ».
« Tirez sur le pianiste ».
Sorti en 1960, il fait partie des films du mouvement appelé Nouvelle Vague. Ce terme est employé pour la première fois par Françoise Giroud en 1957 et sera repris l’année suivante par Pierre Billard. Le premier film à en être apparenté est « Le coup du berger » (court métrage de 1956) réalisé par Jacques Rivette. Le point d’orgue va en être « A bout de souffle » de Jean-Luc Godard sorti en 1960 (et dont l’idée originale était de François Truffaut !), tout juste après le drame familial « Les 400 coups », premier film réalisé par Truffaut. Avant de devenir réalisateur, il est recruté par André Bazin (l’un des fondateurs des Cahiers du cinéma) pour faire partie de ce groupe, et deviendra un des critiques les plus engagés. En font également partie (hormis Rivette, Truffaut et Godard) : Chabrol et Rohmer.
Mais revenons un peu plus sur « Tirez sur le pianiste » et parlons d’abord du scénario : un pianiste de bar retrouve son frère traqué par deux gangsters. Marié à la serveuse, il va voir ses démons ressurgir du passé… .
Pour sa deuxième mise en scène, François Truffaut, livre un film de gangsters comme une comédie. Il fait de « Tirez sur le pianiste » un hommage aux films noirs des années 1940. Avec Charles Aznavour (revu dans « Les fantômes du chapelier » (de Chabrol), « Le tambour » (de Schlöndorff)), pianiste, dans une composition magistrale, Truffaut noie le film de gangsters dans une comédie revigorante et rafraichissante grâce à la musique de Charles au piano, la romance et les palabres. Cette légèreté nous est transmise par des comédiennes sublimissible à souhait qui font le charme du film à elles-seules. Du très joli boulot les filles ! Vous parvenez ainsi à cacher le talent des acteurs de second plan. Super ! Les actrices se nomment Marie Dubois (découverte par Truffaut, elle jouera dans « Une femme est une femme » (de Godard), « Le monocle noir » (de Lautner), « La grande vadrouille »…), Michèle Mercier (la saga « Angélique ») et Nicole Berger (revue chez Julien Duvivier (« Chair de poule ») avant de décéder).
La légèreté du ton est aussi due à l’ambiance appréciable que Georges Delerue donne à l’ensemble. Auteur césarisée trois fois pour « Préparez vos mouchoirs » (de Blier fils), « L’amour en fuite » et « Le dernier métro » (tous deux de Truffaut !). Mais surtout, la pépite indéniable, c’est « Framboise » que chante Bobby Lapointe. Une braise rougeoyante !
De plus, Truffaut raconte son histoire en flashbacks (idée novatrice du cinéma des années 1960) et ajoute là-dessus une narration pas désagréable pour un sou (idée sans doute reprise par le renouveau du cinéma américain : Scorsese, Coppola and Co). De fait, on reste dans l’histoire, calqué sur un N&B des plus maîtrisés, qui va aboutir sur un final en apothéose (oui, la neige, ça fait glisser…).
François Truffaut fait ici coup double en signant d’abord un chef d’œuvre d’époque (l’artiste Truffaut dépeint une société affreusement notoire : le pianiste, la serveuse, l’amour pudique) et ensuite un film culte (car beaucoup de séquences sont osées comme la poitrine nue de Marie Dubois).
Le film est toujours un enchantement 53 ans après. Truffaut « tire sa révérence » au grand Charles. Dame(s) !