En 1964, Belmondo n’était pas encore Bebel, mais Rio n’était déjà plus la capitale du Brésil, titre qu’elle avait abandonné quatre ans plus tôt à Brasilia qui poussait lentement au milieu de nulle part selon les plans d’Oscar Niemeyer. Lorsqu’il crée « L’homme de Rio », Philippe de Broca n’a alors qu’à l’esprit d’en faire un film d’aventure divertissant à l’exotisme prononcé, qui devait trouver son public dans les salles françaises. Près de soixante ans ont passé : « L’homme de Rio » n’est aujourd’hui pas seulement ce récit d’aventures sous les Tropiques qu’avait imaginé son auteur, il est devenu une véritable légende mais aussi un témoignage hors pair du passé, de ce Rio coloré et rieur des années 1960, de ce Brasilia en construction, concentré de soleil, de poussière et de ciment frais et de cette Amazonie sauvage jusqu’alors épargnée par l’homme. Revoir Belmondo courir au petit matin en smoking blanc et mocassins sur le parvis de la Cathédrale de Brasilia, jouer au funambule quelques instants plus tard entre deux immeubles en construction avant de zigzaguer entre les différents bâtiments ministériels de l’Axe monumental au volant d’un vieux zingue fauché font partie de ces moments de cinéma qui restent gravés dans la mémoire. Retrouver Françoise Dorléac, formidable en fiancée encombrante plus préoccupée par la couleur de sa voiture de location (forcément rose avec des petites étoiles vertes) que par le danger qu’elle court en étant malgré elle placée au centre du jeu macabre des statuettes volées, ne peut que susciter l’émotion. Une actrice dont on aurait aimé que la carrière soit aussi longue et couronnée d’éclats que celle de sa jeune sœur.
Une fois tournée la page nostalgie, concentrons-nous sur le film, cocktail millimétré d’action et d’humour où les course-poursuites, les scènes de bagarres et les cascades s’enchaînent à un rythme endiablé. Belmondo n’a jamais le temps de souffler : il saute, il court, il plonge, il nage, il emprunte mille et un moyens de locomotion, il improvise au quart de seconde. L’efficacité de la mise en scène de De Broca et la fluidité du montage permettent de tenir le spectateur en haleine de bout en bout. Les scènes superficielles n’existent pas. Le duo Belmondo – Dorléac fait mouche à chaque instant et apporte au film toute sa fougue, sa jeunesse et sa fraîcheur, bien aidé en cela par une multitude de personnages secondaires dont on apprécie la justesse de l’interprétation que ce soient Jean Servais en manipulateur froid, machiavélique et déterminé ou Adolfo Celi en pionnier brésilien du béton armé aussi sympathique que naïf. En revanche, le jeu de Daniel Ceccaldi en flic parisien benêt prête à l’agacement.
Les films d’action ou les comédies populaires à la française ont toujours eu un côté franchouillard qui ont fait leur marque de fabrique. On retrouve ce côté franchouillard avec d’autant plus d’évidence dans « L’homme de Rio » que le personnage d’Adrien Dufourquet qu’interprète Belmondo, bidasse bisontin en manque de repères dans ce Brésil gigantesque dans lequel il vient d’être précipité malgré lui, éprouve sans cesse le besoin de comparer ce qu’il découvre à ce qu’il connaît. Ce côté franchouillard s’éclipse néanmoins lors des dernières scènes du film pour laisser la place à un message plus universel sur le poids de l’action de l’homme sur la nature, message qui résonne avec d’autant plus d’acuité soixante ans après au regard de l’état alarmant de notre planète. Ainsi la tribu d’indiens qui observe d’un œil hagard des engins monstrueux percer une route en plein cœur de leur territoire fait aujourd’hui écho à la destruction perpétuelle de la forêt amazonienne. De Broca avait-il un côté précurseur que nous ne soupçonnions pas, en plus d’être un metteur hors pair de films d’action ? Télérama qualifie régulièrement « L’Homme de Rio » de « plus grand film de divertissement français de tous les temps ». Ils ont certainement raison.