Eric Rohmer est un grand cinéaste. Bien qu’un tel propos, à tort, connote un certain snobisme, Rohmer n’en est pas moins un grand auteur du cinéma. «Conte de printemps» (France, 1989) en présente les raisons. Une jeune fille, Natacha, fait la connaissance au cours d’une soirée d’une femme plus mûre qu’elle, Jeanne. Cette étudiante en musique lie avec cette professeur de philosophie une amitié aussi curieuse qu’elle est rapide. En l’espace d’une seule semaine, les deux femmes nouent une affection telle qu’elles semblent se faire sous nos yeux mère et fille. Au sein de cette estime amicale s’introduit le personnage du père, figure de passage dont la séduction dément le physique banal. Autour de ce personnage, emportant avec son allure débonnaire les rouages dynamiques du récit, apparaît tous les obstacles à la linéarité promise par l’introduction nonchalante. La nonchalance est d’ailleurs le reproche que le plus inattentif des spectateurs pourrait adresser au film. On entendrait dans son discours les qualificatifs «mou», «ennuyeux», «ringard». Or «Conte de printemps» n’est rien de cela, il respire la vie et sa spontanéité. Rare sont ceux qui, aussi bien que Rohmer, prête raison à Walter Benjamin quand, dans «Sens unique», il écrivit : «Seules les images donnent vie à la volonté. Le mot, au contraire, réussit tout au plus à l’enflammer, puis le laisse s’éteindre et se flétrir.». Le cinéma de Rohmer est cela : l’image et le mot, il partage d’ailleurs ce rapport avec Godard. Les espaces dans les œuvres de Rohmer sont des lieux maîtrisés, acquis aux êtres qui les occupent. Découpés nécessairement par soucis de montage, les endroits de l’action sont rendus comme unité par une savante pose du cadre qui, bien qu’octroyant une large place au vide, permet d’amorcer les changements de plan. Le vide à droite prévient un collage de l’espace à ce niveau là. De même pour l’interprétation des acteurs qui, délaissé des émotions, invite à se défaire des afféteries du jeu.