Film culte s'il en est, dont tout le monde connaît du moins le célèbre titre, Dr Jeykill et Mr Hyde est un vrai bonheur pour le cinéphile qui aime passionnément le cinéma fantastique et se lasse du peu de réussite que l'on au sein du genre à l'heure d'aujourd'hui. La qualité d'interprétation est somptueuse : Friedrich March crée un personnage atypique, chercheur obsessionnel et homme à la psychologie intense, au rythme de vie effréné, le jeu de l'acteur touche au même style que celui de Johnny Depp en Ichabold Crane ou encore en Sweeney Todd, si on le transpose au gabarit de l'époque. Miriam Hopkins incarne une jeune fille de basse condition, stéréotypée, certes (elle use de son charme pour se débrouiller, elle aime le luxe, la coquetterie et est purement matérialiste alors que ses moyens ne le lui permettent aucunement, ce type de personnage féminin est souvent décrit dans les romans de Zola sur la bourgeoisie, voir Pot-Bouille), mais avec une sensualité débordante. Holmes Herbert dans le rôle du Dr Lanyon se révèle être au final un protagoniste alors qu'il pose en figure secondaire tout au long de l'histoire, et c'est là qu'il peut développer son talent pour prendre de l'épaisseur, se transformant en juge implacable. Le duo père fille est voué à soutenir des personnages clichés mais ils le font joliment. Enfin, j'ai été agréablement surpris par l'existence d'un majordome chez Jeykill, nommé Poole et campé dignement par Edgar Norton. Personnellement j'ai tout de suite fait le parallèle avec Batman, étant un grand fan, la comparaison saute aux yeux (Bruce Wayne / Alfred et Jeykill / Poole) et n'est pas dénuée de sens, bien au contraire, il semble que notre adaptation de la nouvelle de Stevenson ait servie de source d'inspiration pour le grand comic. On retrouve même une référence au dédoublement de Jeykill dans Batman return, second opus en apothéose de Tim Burton. Le casting nous donne donc tout ce qu'il a, afin de mener à son terme un conte noir percé de réflexions sur l'âme humaine. Le questionnement oral est réduit ici à son minimum, c'est au spectateur de chercher des indices, dans les dialogues théâtraux, dans le sublime décors mis en exergue par une photographie belle à pleurer (Karl Struss oblige, c'est lui qui s'est chargé de Island of losts souls, Dracula, Frankenstein...) et filmés avec une maîtrise impressionnante démontrant une vision d'une modernité à couper le souffle. Les premières minutes en caméra subjectives, précurseur du found footage, en 1932 ? Les bras m'en tombent. Le rythme des péripéties beaucoup plus rapide à côté de ses contemporain, similaire à celui de nos films d'aujourd'hui, l'efficacité des scènes d'actions encore très prenantes, l'absence totale d'incohérences...ce Robert Mamoulian est donc un sacré réalisateur visionnaire, va falloir que je me penche sur quelques uns de ses films...Si il y a bien un seul élément qui fait défaut à cette aventure si surprenante, c'est de la musique, qui ne se déclenche que lorsqu'un personnage décide de jouer de l'orgue (Jeykill) ou du piano (Muriel). Il y également deux élancées dramatiques et dantesques pour ouvrir et clore le film, qui sont des morceaux de musiques classiques bien connus. Ce parti pris est le seul qui peut déstabiliser, et encore, c'est bien peu, et c'est un choix judicieux, afin d'orienter la source de la tension que distille les scènes les plus dangereuses vers le jeu des acteurs, et cela fonctionne parfaitement. Hyde est grotesque, amusant, effrayant, ridicule parfois, mais à ne surtout pas prendre à la légère. Il rentre d'ores et déjà dans mon panthéon à moi de grand méchants, au même titre que le Joker de Burton qui a certainement été influencé par cet homme à visage...et bien, à visage exprimant nos pulsions à l'état pur, notre état animal qui perle sous notre belle éducation, cette dualité qui concerne chacun d'entre nous, que l'on a besoin de refouler, d'exprimer en la détournant vers des objets précis afin de ne pas nuire à autrui, de contenir jusqu'à un certains points...le point de vue sur l'humanité pouvait ainsi paraître pessimiste à l'époque, mais à mon avis il est plutôt réaliste, et les nouvelles études scientifiques sur notre psyché nous ont fait communément admettre ce genre de notions qui avait sans doute du mal à passer en 1932. A vrai dire, il s'agissait aussi de mettre en scène un récit fantastique, d'où un climat sombre et envoûtant, que j'ai adoré immédiatement en me plongeant dans le film : hauts de forme et manteau en cape (pèlerine) tournoyant dans des ruelles sombres d'un style victorien, plans de réverbères, d'orgues, de portails massifs en métal, de chandeliers...esthétique évocatrice qui vient chatouiller notre subconscient avec délice, créant une atmosphère à la frontière entre le gothique et le victorien, un vrai régal pour un fan de Burton. Amis cinéphages, ce splendide chef d’œuvre est un incontournable, et pas seulement au niveau du cinéma fantastique, mais aussi au niveau du 7e art pour les idées novatrices qu'il déploie !