Avant de s’expatrier aux Etats-Unis, John Woo décide de livrer un bouquet final à son public hong-kongais, qui lui constituera également une belle carte de visite pour entrer à Hollywood. « Hard Boiled » est ainsi construit tel un déploiement de savoir-faire et de spectacle, comme le meilleur du cinéma hong-kongais en était capable à l’époque. Cette intrigue de flic burné traquant des trafiquants d’arme à Hong-Kong est donc un prétexte pour enchaîner des scènes d’action tonitruantes et généreuses. L’introduction musclée dans un salon de thé donne le ton. Cette scène, qui serait le climax enflammé dans un polar d’action américain de l’époque, n’est ici « que » le début d’une série de fusillades qui montent crescendo. Des fusillades qui tiennent de ballets mortels, où s’enchaînent avec maestria des cascades d’orfèvres, des chorégraphies millimétrées, des déchaînements de coups de feu et d’explosion, des ralentis et traveling esthétiques. Cela aurait pu être ridicule, gratuit, ou excessif, mais il n’en est rien. John Woo maîtrise parfaitement son espace et sa narration visuelle (on pourrait regarder le film en cantonais non sous-titré et comprendre l’intrigue !). Il déploie avec aisance de multiples angles de caméras et un montage riche, qui rendent les séquences particulièrement fluides et efficaces. Le film va même jusqu’à offrir une cerise sur le gâteau, avec ce plan-séquence complètement dingue de 2 minutes, où nos héros déambulent dans un hôpital en échangeant coups de feu et destructions. Véritable défi logistique et immersion relativement inédite à l’époque pour un film d’action. Outre sa forme et ses explosions, « Hard Boiled » n’a rien de stérile. Certes, les péripéties sont relativement primaires (les méchants sont clairement identifiés…), et les dialogues ne volent pas toujours très hauts. Mais le film, entre deux fusillades dantesques, prend la peine de développer ses protagonistes, incarnés avec charisme par Chow Yun-fat et Tony Leung, la crème du cinéma hong-kongais. On a aussi de bonnes « gueules » avec le cascadeur Philip Kwok en homme de main inquiétant, ou Anthony Wong en chef de triade sanguin. Détail amusant, Tony Leung jouera un rôle similaire dans « Infernal Affairs », avec cette fois Anthony Wong à ses côtés ! Le film déboussolera également ceux qui sont habitués aux standards hollywoodiens de l’époque. Avec par exemple des dommages collatéraux explicites, y compris causés par nos héros, ou la part d’ombre de ceux-ci. Dès les premières minutes, l’inspecteur Tequila n’hésite ainsi pas à exécuter froidement l’un des méchants ! Enfin, comme beaucoup d’œuvres de l’époque, « Hard Boiled » évoque avec appréhension la rétrocession de Hong Kong. Montrant la crainte de voir le chaos et la violence s’emparer de la ville avec la fin de la colonie. Un petit fond politique bienvenu pour ce long-métrage qui demeure incontestablement une référence du cinéma d’action.