Célébré comme le premier film narratif américain, « Le Vol du rapide », qui dure de 12 à 14 minutes selon les versions, vaut surtout par son rôle pionnier dans l’histoire du cinéma. Bien que des spectateurs rompus à plus d’un siècle d’images animées y éprouveront difficilement du plaisir, l’œuvre de Edwin S. Porter force cependant l’admiration.
Les quatorze plans dont est constitué « Le Vol du rapide » narrent le braquage d’un train, créant presque tous les motifs obligés de ce type de séquence dans le genre western : les quatre bandits aux mines patibulaires, sans foi ni loi, l’attaque du bureau télégraphique, le combat sur le tender, la fuite en locomotive après avoir détaché les wagons, la course-poursuite à cheval avec les rangers alertés un peu trop tard, le combat final, auxquels il faut ajouter le petit intermède du bal Far-West.
Mais plus encore que cet embryon d’intrigue, c’est la virtuosité audacieuse de Edwin S. Porter qu’il convient de louer. Les prises de vue et le montage des quatorze plans forment une grammaire cinématographique que la plupart des blockbusters contemporains bafouillent aujourd’hui plus ou moins sciemment : ellipses pertinentes, jeu sur la profondeur de champ, communication entre l’intérieur et l’extérieur du train, usage de panoramiques, alternances entre plan moyen et plan général, quasi-découverte de l’ubiquité et un hallucinant gros plan final du bandit joué par Justus D. Barnes, à maintes fois repris et pastiché. Ce dernier plan joue d’ailleurs dans la mythologie du cinéma américain le rôle du « Train à la Ciotat » dans celle du cinéma français.
Le charme du « Vol du rapide » tient ainsi au souvenir de cette ingéniosité folle inhérente aux premiers pas du cinéma muet, quand cet art se prêtait à toutes les expérimentations et n’était pas encore entré dans l’ère du pantouflage rentable initié par les grands studios ou plus récemment, les chaînes de télévision.
Robert Brasillach et Maurice Bardèche rappellent par ailleurs dans leur excellente « Histoire du Cinéma » à quel point ces explorations coïncidaient encore avec le génie national, « Le vol du rapide » témoignant du « dynamisme », de « l’allure gaie et sportive » du peuple américain et déjà du « véritable sens cinématographique » dont il fera montre dans l’âge d’or hollywoodien. Le paragraphe suivant de leur « Histoire » explique déjà les raisons d’une allégeance écœurante au multiculturalisme que palment aujourd’hui les grands festivals, souvent au détriment du bon goût.
Un conseil enfin pour voir ce film dans les meilleures conditions : consulter le site « Library of Congress » et la page consacrée aux productions Edison. Cette collection regorge de pépites en films courts ou longs, en actualités diverses, mais aussi évidemment en enregistrements sonores. « Le Vol du rapide » y est disponible dans une très belle copie, sans musique. Je conseille à ce propos de mettre en fond sonore lors du visionnage les « 24 Caprices » de Niccolò Paganini, qui accompagnent étonnamment bien cette bande.