Un paradoxe sous-tend Bigger than Life et lui confère force et valeur : penser la cortisone comme le déclencheur d’une révolte – nous sommes chez Nicholas Ray, et la révolte a toujours droit de cité dans son geste artistique –, mais d’une révolte rétrograde qui conduit son protagoniste principal, tout à la fois héros et antihéros, victime et bourreau, à revenir à une loi d’avant la loi de Dieu qui, comme il le rappelle de vive voix, « s’est trompé ». Révolte et démence marchent ensemble, le médicament agissant à la manière d’une drogue dont les effets libèrent l’esprit d’Ed Avery et l’affranchissent, en apparence, de son enchaînement social ; pourtant, sa trajectoire est celle d’une transition entre deux états de domination, à la différence que la première est intériorisée, en témoignent les crises et les évanouissements, là où la seconde est tournée vers l’extérieur. La renaissance du personnage s’avère démiurgique, il s’autoconsacre maître de son univers, prêt à faire plier celui des autres ; il convertit le mal qui le rongeait en une tyrannie d’exercice qui s’applique d’abord sur son épouse, ensuite sur les parents d’élèves, enfin sur son fils, allant jusqu’à répéter le sacrifice d’Abraham. Dit autrement, Nicholas Ray met en porte-à-faux deux systèmes nocifs dans lequel s’égare l’individu : un capitalisme qui écrase l’intellectuel sous des dettes et le contraint à prendre un second métier pour subvenir aux besoins de sa famille, une omnipotence délirante au sein de laquelle il est tout, origine et receveur de ses actions et de celles de son entourage. La superposition de ces deux systèmes, chacun renvoyant à une folie, le conduit à réviser le modèle de l’american way of life et de l’hollywoodisation galopante des codes vestimentaires, des poses et des coiffures, jusqu’à adopter ces codes pour les parodier – voir à ce titre la clausule réunissant la famille de façon volontairement excessive, forçant un happy end menacé par l’état du père et le rouge du vêtement de l’enfant. La mise en scène du cinéaste est donc réflexive, c’est-à-dire qu’elle pense ses images comme des miroirs qui renvoient au spectateur attentif des visions du monde qui ne sont pas les siennes mais celles de son personnage ; la montée en psychose se traduit par une transformation du point de vue, la focalisation des plans semble de plus en plus résulter de la perception d’Ed, à l’instar de la radio qui ouvre son intériorité au regard des médecins ou du jeu d’ombre qui fait du père une menace démesurée écrasant son fils sous le poids de son éducation. En dépit de l’empressement avec lequel Ray représente la folie croissante de son personnage, une simple transition en fondu enchaîné occultant les étapes de la radicalisation pédagogique par exemple, Bigger than Life s’affirme comme l’œuvre majeure d’un cinéaste qui investit l’un des fléaux de son temps – et qui demeure actuel aujourd’hui –, le médicament comme une drogue addictive, de manière vertigineuse et formellement superbe, portée par de très bons acteurs.