Pour autant, le film peut se voir comme un brouillon de son œuvre à venir. On y retrouve ainsi une partie de ses influences, une partie de sa quête novatrice, son obsession du détail et de certaines thématiques tout comme son absolue déférence aux genres. «Le baiser du tueur» est un pur film noir, qui respecte donc les canons du genre, avec son intrigue qui se situe dans un milieu trouble (les combats de boxe, qui est aussi un héritage de son passé de photographe/reporter pour le magazine Look, les pistes de dance avec entraîneuses), la femme fatale qui entraîne le héros dans une spirale infernale, le méchant et ses hommes de main, les rues sales la nuit avec de grandes ombres menaçantes, l'argent comme moteur et l'amour comme déclencheur. Bref, rien de bien neuf en apparence. Pourtant, le jeune cinéaste joue avec certains codes, triture certains archétypes, et on retrouve déjà son refus de l'identification facile au héros, qui est présenté comme un loser patenté, un provincial qui a plus d'avenir dans un ranch que sur un ring, sa carrière étant derrière lui. Quant à la femme fatale, elle n'a pas un look incendiaire ou un charme glamour. Il y a déjà par contre, ce goût du tragique, cette importance de l'héritage familial (une thématique chère à Kubrick, qui attache une certaine importance au cercle familial, que ce soit le couple avec des enfants ou bien la famille au sens un peu plus large), une exploration des conflits entre les êtres humains, une réflexion sur le voyeurisme, et surtout, une certaine quête esthétique parfois ahurissante. Si le film manque clairement de moyens, avec ce combat de boxe tourné sur un ring très éclairé tandis que les spectateurs restent dans l'ombre (et pour cause, il n'y en a pas réellement puisqu'ils n'interviennent que via la bande-son, le budget ne permettant pas de s'offrir une foule de figurants), on trouve aussi certains plans d'une beauté formelle qui s'apprécie d'autant plus sur grand écran que le passé de photographe de Kubrick lui permet d'oser quelques hommages à ses maîtres. Il faut voir cette poursuite sur les toits d'un entrepôt, filmé avec un grand panoramique, qui nous montre les personnages en plan très large qui se poursuivent, tandis que derrière eux, se distingue dans une belle brume hivernale, les ponts, les buildings et quelques lumières. Des fulgurances visuelles qui s'entrechoquent avec d'autres moments tirant vers le surréalisme, dont était friand ce grand fan de Buñuel, avec cette lutte finale dans un entrepôt de mannequins. Il y a aussi quelques jolis moments de montage alterné, prolongation des expérimentations de Griffith et d'Eisenstein, autres grands maîtres formels du jeune Stanley, avec cette précision maniaque dans le détail, une certaine ironie mordante mais aussi des maladresses de scénario, des petites erreurs de jeunesse (une musique trop envahissante), des erreurs d'apprentissage pourrait-on dire, et il en tirera certaines leçons pour l'avenir (il n'écrira plus de scénarios originaux, ayant décelé son manque d'aptitude dans cette discipline, il en viendra à abandonner les compositions classiques et piochera dans les musiques pré-existantes). Découvrir aujourd’hui, dans de bonnes conditions, les premiers travaux de ce futur génie du 7ème art («L'ultime razzia», son autre film noir, est également ressorti sur quelques écrans le 3 janvier), est un petit jeu de pistes agréable. D'autres critiques sur thisismymovies.over-blog.com