Que dire de "La Leçon de piano" aujourd'hui alors qu'il reste toujours le seul film réalisé par une femme palmé à Cannes ? L’œuvre est magnifique, on le savait déjà. Et les silences ne s'expliquent pas. Car il est autant question de silence que de musique dans ce film. Il nous raconte l'histoire d'Ada, une femme muette depuis l'enfance, mariée par son père à un colon de Nouvelle-Zélande qu'elle n'a jamais rencontré. Elle arrive alors sur cette île du bout du monde, accompagnée par sa fille et son piano dont elle ne se sépare jamais, celui-ci constituant sa seule passion. Mais pour Alistair Stewart, son nouveau mari, hors de question de transporter le piano jusque chez lui. Il faut franchir la jungle et la boue et s'y refuse. C'est donc Baines, leur voisin illettré qui récupère le piano. Celui-ci, épris d'Ada, lui propose un marché : elle devra regagner son piano touche par touche si elle se prête à ses fantasmes quand elle lui rend visite pour lui jouer du piano et, éventuellement, se déshabiller pour lui. Bien entendu, le manège entre Baines et Ada prendra une tournure différente que Alistair s'en apercevra et quand Ada tombera elle-même sous le charme de Baines, illettré romantique finalement beaucoup moins rustre que son nouveau mari qui ne parvient pas à se faire aimer et à s'imposer en tant que chef de famille. Joli portrait de femme, "La Leçon de piano" est surtout une histoire d'amour touchante, racontant comment Ada devra se délester d'un tas de choses pour apprendre à vivre de nouveau. Coincée sur cette île boueuse auprès d'un foyer dont elle se moque éperdument, Ada est une héroïne complexe à qui Holly Hunter prête ses traits et toutes les expressions de son corps et de son visage. L'actrice, récompensée d'un prix d'interprétation à Cannes et d'un Oscar, s'implique corps et âme dans le rôle et livre une prestation intense. C'est pourtant de son personnage que La Leçon de piano tire ses faiblesses. Car Ada est une femme difficile à comprendre. Insupportable et capricieuse, elle se montre réticente à son nouveau foyer, délaisse sa fille (Anna Paquin, âgée de neuf ans lors du tournage dans un rôle de petite peste innocente et cruelle) et choisit aléatoirement ses moments de tendresse. Difficile d'éprouver une véritable empathie pour un personnage qui frôle les limites de notre agacement malgré toute la beauté de ses gestes sur la deuxième partie du film, Ada allant jusqu'à se séparer d'une touche de son précieux piano pour envoyer un mot d'amour à Baines. Finalement ce sont les hommes qui sont mieux lotis dans le film en particulier Harvey Keitel qui joue à la fois sur sa part d'animalité déjà aperçue dans "Bad Lieutenant" et qui livre aussi une prestation dans un registre plus touchant. Baines, l'illettré fou d'amour pour Ada, ne récupère-t-il pas le piano délaissé sur la plage rien que pour elle ? En mari devenant cruel par pur orgueil et pure stupidité car incapable de se faire aimer et respecter, Sam Neill délivre une jolie interprétation, sombre et nuancée. Le tout dans une mise en scène superbe laissant la part belle aux silences et aux jeux de regards pour faire naître l'émotion quand la partition de Michael Nyman ne donne pas quelques frissons. Un très bon film rempli d'amour et de subtilité dont Jane Campion saisit les plus beaux atours.