Je ne vais pas trop m'attarder sur la technique de ce film, je n'ai pas fait d'études de cinéma, ni lu beaucoup de bouquin la dessus. Apparemment Rashomon est un film majeur pour la mise en scène, le principal précurseur de la nouvelle vague française. Je veux bien le croire, nous sommes en 1950, mais la mise en scène est très dynamique, très folle et sombre, je ne connais pas beaucoup de films de cette époque du même genre. Mais j'omet volontairement ce point car je ne pourrai juger, pour me concentrer sur le thème du film, qui est bouleversant. Rashomon c'est l'histoire d'un crime : un cadavre d'un homme retrouvé, et une mystérieuse histoire à trois qui a mal tourné. Un homme, un brigand, était présent au moment du crime; et la femme du mort y était aussi. Que s'est-il passé? C'est la qu'intervient le génie de Kurosawa. Amenez à comparaître devant un tribunal, le brigand et la femme vont donner chacun leurs version ; elles sont différentes. Puis, un chaman va donner la parole au mort, qui donne aussi sa version différente. Enfin, un dernier temoin, extérieur, prétend avoir tout vu. Chacun donne sa version différente, et pourtant, chacun... s'accusent. Les versions sont pourtant toute assez proches, incluent des éléments communs, et chacun semble sincère dans son propos, surtout que chacun n'accusent pas les autres, mais eux-même. Le brigand prétend avoir tué l'homme; la femme aussi; et le mort dit s'être suicidé... Kurosawa montre comment chacun, selon sa perception, voit une réalité différemment; comment chacun par sa morale ou par ses relations avec les autres perçoit le crime. Le réalisateur japonnais montre comment les témoignages ne peuvent être objectif, pourquoi aucun ne peut être parfaitement vraie. C'est une véritable reflexion sur la justice, car tout cela est fait sans manichéisme : personne n'a tort, personne n'a raison. Mais surtout, c'est la fine analyse de la morale japonaise qui vaut le détour : chacun s'accuse pour sauver son honneur, quitte à y perdre la vie. Kurosawa émet une vraie critique de l'honneur à la japonaise, dans laquelle la femme est inférieure, la victime est souillée, l'agresseur peut se racheter; mais surtout, par un dernier quart d'heure fabuleux, Kurosawa montre comment cet honneur ronge les japonais qui n'ont pas peur d'être déshonorés, mais qui ont peut de l'honneur, qui n'est pas dans leur nature. Et, pour préserver leur image, les japonais sont prêt à sacrifier les autres, a s'enfermer dans l’égoïsme, et à perdre toute humanité. Le double terrain, a la fois "mémorielle" (3 témoins de la scene et du procès livrent leurs versions) et illustré (reconstitution des témoignages des suspects), permet de saisir l'absurdité des actes commis, les 3 témoins ne parvenant pas à comprendre cette affaire remplie de mensonges, si bien qu'ils se détachent de plus en plus de la foi en l'homme. Une histoire donc fabuleuse, qui donne énormément à réfléchir. Clairement, si ce film est resté dans la postérité, c'est pour la reflexion qu'il amène. Je finirai tout de même sur quelques points purement formels. La mise en scène est dynamique, inventive, les scènes des combats sont crédibles et bien filmées; et les différentes scènes de 2 trios différents (des témoins au procès et des suspects + mort) nous font clairement penser à des tragédies grecques rondement menées. Toshiro Mifune est un véritable fou dans son rôle, un jeu assez exceptionnel, Masayuki Mori lui, montre parfaitement par son regard le paradoxe de l'honneur japonnais; Machiko Kyo, pour finir, déjà est sublime, comme le dis Mifune dans le film "on dirait un ange", est produit incontestablement à elle seule toute l'intensité dramatique du trio, par ses pleurs et son hystérie.