Si Idgie et Ruth étaient nées un demi siècle plus tard , elles se seraient appelées ... Thelma et Louise ...
C'est une histoire d'amitié (et plus , selon le roman de Fannie Flagg dont le film est adapté) entre deux femmes dans le sud profond des USA (l'Alabama , tout de même !) qui va influencer le destin d'une ménagère dépassée par sa ménopause , 50 ans plus tard , alors qu'elle rencontre une vieille dame , témoin des faits et qui les lui raconte avec un certain sens du suspense ...
Ce film , on l'aime ou on le déteste , il n'y a pas de juste milieu . Je suis de ceux qui l'adorent , au point de le revoir réguliérement , lorsque le besoin d'évasion devient vital . Dès les premiéres minutes du récit de Mme Threadgoode , incarnée par la fabuleuse Jessica Tandy , dont ce fut , hélas , le dernier rôle , on est comme capturé par cet univers disparu qu'elle décrit avec l'art d'une conteuse professionnelle . Le conte , justement , qui tient une place non négligeable dans ces tranches de vie , où les personnages sont tous , à leur façon , amateurs de belles histoires .
Tout commence avec la mort tragique de Buddy , jeune homme accompli , incarnation du gentleman sudiste , sans la maison à colonnades ni , surtout , les esclaves , dont les descendants sont considérés comme des membres de la famille . La spécialité de Buddy c'est de charmer tout le monde avec ses histoires improbables qui ont le mérite d'apaiser , ou de susciter , les émotions . C'est ainsi qu'il charme Ruth (interprétrée avec brio par la toujours énigmatique Mary Louise Parker qui déploie là sans retenue son charme puissant ) , en lui contant une histoire de canards ayant emporté un lac par un jour de grand froid et "On dit que , depuis , ce lac se trouve quelque part , là-bas , en Georgie" . L'amour de Buddy va unir , "À la vie , à la mort" , Ruth et Idgie , sa sauvageonne de petite soeur (touchante Mary Stuart Masterson) , que lui seul sait dompter , avec ses petites histoires , d'huître et de perle , son amour indéfectible et sa tolérance infinie , à partir du jour où elles assistent , horrifiées , à son affreuse mort . Ruth sortira Idgie de l'enfermement où elle est plongée depuis lors , en se plongeant dans son univers anticonformiste . Elle , la parfaite jeune fille du sud , délicate , dévouée , obéïssante , bonne chrétienne , soumise aux contraintes imposées aux femmes des années 30 , va suivre la rebelle dans un tripot voué aux gémonies par l'hypocrite pasteur Scroggins , va apprendre à voler , mentir , jouer au poker et au baseball , boire et ... exprimer ses émotions . Ce faisant , elle rend le goût de vivre à Idgie . Celle-ci lui rendra la pareille quelques années plus tard en venant la tirer des griffes de sa brute de mari , "là-bas , quelque part en Georgie" . Ensemble , elles ouvrent le Wistle Stop Coffee , où se réunit toute une communauté autour de leurs fameux Beignets de tomates vertes , servis chauds . On peut y voir évoluer une galerie de personnages savoureux , tous interprétés à la perfection , de Smokey le vagabond emblématique de la Grande dépression à Grady le craquant shérif , gros balourd plus ou moins adhérent du KKK mais qui cède à tous les caprices d'Idgie et l'aide même à protéger ses amis noirs , Sipsy et son fils Big Georges , le "Roi du barbecue" et le roc autoproclamé d'Idgie , incarnations de l'amour et de la loyauté , en passant par l'exécrable Ed Couch à la tête de fouine , qui perçoit la complicité de la "bande à Idgie" mais n'en comprend pas les arcanes au point de faire l'erreur fatale de ne pas voir que le véritable moteur , c'est Ruth , et l'amour que tous lui portent . Elles vont vivre des drames , encore , mais surtout une puissante histoire d'amour-amitié , un brin loufoque , totalement anticonformiste et définitivement émouvante .
50 ans plus tard , alors que Niny Threadgoode lui raconte cette histoire , Evelyne (une Kathy Bates au sommet de son art) , jeune quinquagénaire un peu perdue entre une vie de couple insatisfaisante avec son gentil mais balourd époux , qui l'aime , mais très mal , la ménopause qui s' invite et son statut de "ménagère de 50 ans" , utilisée mais méprisée par la société , prend conscience qu'elle subit la vie plutôt qu'elle ne la vit . A mesure qu'elle découvre la liberté d'esprit d'd' Idgie et de Ruth , elle change et finit par s' affirmer complètement : "Towanda" !
Si je ne m'étends pas sur cette histoire parallèle , quoique décalée dans le temps , c'est parce qu'elle dépend totalement de l'autre , celle d'Idgie et de Ruth , et de ce à quoi elles sont confrontées , ces "valeurs" qu'elles contestent , la suprématie de l'homme blanc , sur sa famille , les femmes , les noirs , l'ordre , la justice ... et que Evelyne devra affronter elle aussi , avec la liberté de s' exprimer en plus .
D'aucun critiquent la réalisation de Jon Avnet , qualifiée de "plate" , voire "inconsistante" . Je trouve , au contraire , qu'il a fait un travail d'une grande subtilité . On a la sensation qu'il laisse ses personnages guider le récit alors que , en réalité , il multiplie les passerelles , sans en avoir l'air , et construit son film par petites touches efficaces qui induisent une narration spiralaire , de manière à "piéger" le spectateur qui a su plonger dans cet univers , le captivant jusqu'au dénouement très inattendu .
C'est un film inoubliable . Lorsqu'il finit on a la sensation d'avoir fait un voyage dans le temps et l'on ressent un grand regret de quitter ces personnages dont on aimerait savoir tellement plus de choses . On reste ébloui par la lumière du sud , superbement photographiée , et la bande sonore continue de se dérouler dans notre esprit .