Nuits rouges, le dernier film de Franju, est un film qui a une drôle d'histoire. Il réalisait pour la TV L'homme sans visage (8 X 52 mn) et tourna en parallèle avec les mêmes acteurs ce film curieux, parodique en fait, qui est une sorte de nostalgie du cinéma de Feuillade, mais qui paraît plus proche du Théâtre du Grand Guignol. La couleur apparaît comme autant de coulures venant suinter des clairs-obscurs, déformant les atmosphères, et tout à coup l'ouvrage paraît dépouillé de son âme. La séquence sur les toits en hommage à Musidora, tournée dans la Hongrie des années 70 pour des raisons budgétaires, prend une dimension tellement décalée avec l’univers du réalisateur de Judex, que cela en devient émouvant. Curieusement beaucoup de bobines ont été volées sur le tournage à Belgrade, comme si les fantômes d’Arthur Bernède, le scénariste de Feuillade et auteur de Bélphégor, étaient venus s’emparer du Kodachrome en signe de rébellion. Remplacées dans le montage final par des séquences en 16 mm tirées de la série TV, et gonflées en 35, elles semblent comme des chaises cassées de Dubout rafistolées avec du fil de fer. Tout cela contribue à donner un objet insolite qui fait penser par certains côtés à Un flic, le dernier Melville, avec ses maquettes de train à l'ancienne et ses transparences, au milieu d’un paysage cinématographique qui voyait l'arrivée de Corneau, Miller et de Palma... Alors que tout un monde disparaissait, ces cinéastes exprimaient leur nostalgie au cours d’un dernier souffle. Il faut voir Nuits rouges comme le film d'un poète qui joue avec ses marionnettes sur le chantier en construction d’un complexe multisalles, parmi les décombres du Gaumont Palace et de l'Alhambra...