J’ai vu ce film au cinéma il y a 38 ans . C’était mon premier Coppola et j’en ai conçu pour lui une admiration restée intacte quatre décennies plus tard . Je viens de le revoir , curieuse de savoir si mon "coup de coeur" avait évolué avec le temps . Que nenni , je suis toujours sous le charme ...
Ce film est surtout célèbre pour avoir causé la faillite de Coppola , traité de mégalomane à l’époque , boudé par le public et la critique et contraint durant quelques années de faire des films "alimentaires" pour se remettre à flot . C’est extrêmement injuste pour ce petit bijou onirique où le maître a déployé tout son art de manière passée inaperçue ou raillée .
On lit ça et là que l’histoire est banale , les décors trop visiblement factices , la musique trop jazzy ...
Ce sont justement ces éléments , et la façon dont Coppola en a usé , qui font de ce film une pièce d’orfèvrerie dans la filmographie de Coppola . L’histoire est , effectivement , d’une banalité confondante : un couple de gens ordinaires traverse la sempiternelle crise de lassitude , au bout de quelques années de vie commune . Ils vont vivre , l’espace de quelques jours , une aventure extra conjugale , pour finir par retourner au bercail . Ce résumé n’en est pas un , c’est l’histoire racontée dans le film , pas moins . Et c’est là que Coppola montre son génie : il fait de cette histoire basique , filmée 1000 fois avant et après lui , un conte onirique et musical original , envoûtant , en jouant seulement sur les contrastes et l’atmosphère .
Le casting est la première pierre de sa construction . Pour incarner le couple lambda , il a choisi deux acteurs talentueux mais sans charisme : Teri Garr et Frédéric Forrest , incarnations des américains ordinaires . Pour les séduire et les emmener au-delà de leur quotidien , deux acteurs atypiques qui ont bâti leur carrière en interprétant des personnages hors normes : Nastassja Kinski , énigmatique et magnétique à souhait et l’époustouflant mais si émouvant Raul Julia .
Ensuite , il y a les décors . Le film commence d’ailleurs par un générique d’anthologie , qui plante ce décor magistralement . Il démarre ensuite dans une petite boutique puis dans une maison , celle du couple central , qu’il est impossible de situer dans une ville précise tant elles ressemblent aux milliers d’autres vues dans des centaines de productions . Et puis , soudain , le couple se déchire , se sépare et va chercher consolation dans un Las Végas plus artificiel que nature , visiblement et volontairement créé de toutes pièces en studio . C’est un enchantement pour les yeux et cela nous transporte dans une vie rêvée où la réalité n’existe quasiment plus .
Enfin , la musique ! Le jazz de Teddy Edwards où domine son fameux saxophone , et les chansons de Tom Waits , qui s’en donne à cœur joie avec ces personnages bizzaroïdes mais romantiques et émouvants , sont le ciment qui fait de ce film un rêve éveillé bien léché où le cinéaste déploie tout son art pour emporter le spectateur dans cet univers mi pragmatique , mi fantasmagorique .
Il y a des scènes mythiques , totalement inoubliables . Pour n’en citer qu’une , le tango de Raul Julia avec Teri Kerr est un pur chef-d’œuvre à part entière . En quelques minutes il ressuscite l’âge d’or de la comédie musicale hollywoodienne , en hommage pimenté d’un zeste de parodie et d’un soupçon de nostalgie . C’est magique !!!
Coppola est un réalisateur polémique qu’on admire , reconnaît mais critique , tout à la fois . Ce film en est l’illustration . On lui reproche justement ce qui en fait l’originalité , comme pour son auteur . Si Coppola est un Grand , c’est parce qu’il a eu l’audace d’aller là où on ne l’attendait pas , d’inventer , d’imaginer , d’oser . Avec "Coup de coeur" il a produit une œuvre remarquable , qui ne ressemble à aucune autre et il est bien regrettable qu’elle ne reste dans les mémoires que comme un échec financier , nonobstant ce qu’elle a apporté â l’art cinématographique .