Le Chêne met en scène les derniers feux du régime de Ceausescu, de la gazinière allumée dans le petit studio à la destruction d’un bus scolaire pris en otage, en passant par les explosions artificielles réalisées pour la reconstitution de séquences de guerre. Le paysage roumain est une scène de théâtre sur laquelle se produisent des numéros d’acteurs et d’actrices en roue libre, excessifs dans des rôles qu’ils semblent improviser, amplifier pour l’occasion. Nous avons cette curieuse impression que les personnages sont en perpétuelle représentation, qu’ils ne connaissent pas la demi-mesure et préfèrent se cogner, s’insulter et se menacer plutôt que de discuter. « Notre enfant sera un idiot ou un génie, sinon je le tue », menace Mitica adossé à l’arbre. Lucian Pintilie présente la Roumanie comme une société bigarrée et corrompue, gangrénée par la violence endémique et l’omniprésence de la force militaire déployée de façon despotique : un hélicoptère n’est jamais loin de tomber sur notre couple principal, de les enlever d’un lieu pour les conduire ailleurs, etc. De même, Nela et Mitica ne tiennent pas en place : leur amour se fait initiation à la douleur de la Roumanie, une douleur excentrique et divulguée derrière son sens de la fête, qui perce lors de la débandade délurée à laquelle s’adonne le groupe d’amis dans le cimetière, lorsqu’il faut emporter le père parti que l’on transporte dans un pot de café. L’étiquette indique « spécial filtre » ; ironie cynique, puisque le cinéaste ne filtre guère sa révolte, cette révolte qui infuse chaque séquence du Chêne, œuvre à la photographie superbe, œuvre aussi indomptable que son personnage féminin, œuvre qui communie avec l’étrangeté fondamentale de l’individu qui, seule, le préserve de l’uniformisation totalisante et totalitaire.