Depuis "Quelques jours avec moi", avec le même Daniel Auteuil, Claude Sautet marque une rupture nette avec ses sujets "sociologiques" des années 70. Que ce soit ici, dans ce "Coeur en hiver", dans "Quelques jours..." et plus tard dans "Nelly et Mr. Arnaud", le ton est plus grave, plus austère, plus mélancolique, plus froid et profond que ces réussites passées. Peut-être parce que ces trois derniers films traitent des mêmes sujets: la solitude, le sentiment d'être étranger au monde et l'incommunicabilité des sentiments déclinés sous différents points de vues.
Dans "Un coeur en hiver", le personnage central incarné par Auteuil est une énigme à lui tout seul: Stéphane s'est construit une routine sécurisante avec son "meilleur " ami et associé Maxime (André Dussollier) -"partenaire", rien de plus, dit-il à Camille (Emmanuelle Béart)- mais ne semble toucher par rien. A peine son travail de luthier semble lui procurer quelques émotions et satisfactions. Il semble accepter le jeu des conventions sociales par aspect purement utilitaire et par peur de se retrouver seul, mais n'hésite pas à se montrer froidement cynique et provocateur vis-à-vis de qui bon lui semble. Seul Lachaume (émouvant Maurice Garrel), son père spirituel et professeur, semble trouver grâce à ses yeux. C'est également le seul qui semble comprendre qui est Stéphane sous cette gangue hermétique. Maxime, le fidèle, lui, accepte Stéphane tel qu'il est, mais n'a jamais chercher à résoudre l'énigme Stéphane et n'a jamais tenté de le remettre en question. En somme, la routine utilitaire de la relation lui sied tout autant qu'à Stéphane... Camille "bouleverse" tout.
Emmanuelle Béart, à son avantage, n'est jamais aussi bien que quand elle incarne des femmes passionnée et fougueuse, portée par des sentiments brûlants et destructeurs. L'énigme Stéphane la fascine et l'attire irrémédiablement. Ils sont l'anti-thèse de l'un et de l'autre. Ce dont "semble" jouer ironiquement et volontairement Stéphane.
Je dis bien "semble" car le jeu de Daniel Auteuil, porté par l'oeil et la direction de Sautet, est d'une infinie subtilité. C'est même du grand art. La mise en scène épurée et sobre, privilégiant les plans longs, appuie sur ses regards qui en disent bien plus longs sur lui que le discours qu'il tient. C'est par son regard d'ethnologue de l'âme humaine que Sautet parvient à nous livrer une part de Stéphane. Les nombreux silences et non-dits appuyés par des regards signifiants sont autant d'informations pour le spectateur. La force de Sautet, c'est de toujours prendre le spectateur pour quelqu'un d'intelligent, il ne tombe jamais dans la démonstration ou le dialogue de trop, jouant avec finesse le décalage entre le verbalisé et ce que le personnage ressent. Beaucoup de ses films reposent sur cette construction et ce sentiment. L'intrigue est rectiligne, le personnage central est scruté par la caméra jusqu'à la moëlle, sans pour autant trahir ses secrets et ses zones d'ombres, jouant du décalage dont je viens de parler.
Sautet filme la solitude comme personne, surtout ici. Car au bout du compte, Stéphane est seul au milieu de tout le monde, il s'en est exclu volontairement tel un misanthrope au regard lucide, dure et acéré, souvent cruel, mais qui en se réfugiant dans sa tour d'ivoire souffre horriblement et s'empêche d'aimer pour se protéger de la souffrance. Car dans le fond, il les aimes tous, il a vraiment eu le coup de foudre pour Camille, il se culpabilise de faire mal à Maxime, admire Madame Amet (Myriam Boyer) et Lachaume, à beaucoup de tendresse pour Hélène (Elisabeth Bourgine) mais se convainc lui-même d'être un personnage froid et antipathique, qui fera tout pour se faire détester de tous.
La solitude face à la maladie, la souffrance et la mort est aussi abordée avec le personnage de Lachaume - c'est d'ailleurs cela qui fait "réagir" Stéphane -. Ne dit-il pas à Camille, lors de la scène de fin (dans une brasserie - lieu récurent dans les films du réalisateur), "je croyais n'aimer que lui mais c'est le contraire". Tout est dit en une phrase.