« Mais alors dans ce milieu pourri, la parole d’un homme comme moi c’est zéro ? »
Comme pour d’autres de ses films, Melville ressent le besoin impérieux de commencer par un court texte. Ça peut être une explication du titre, une citation philosophique, ici c’est une justification. Je maintiens qu’il y a un rapport avec le cinéma muet auquel, par ses longues scènes sans paroles, Melville semble systématiquement rendre hommage. Il faut ainsi attendre plus de six minutes pour entendre le premier échange verbal.
Après Belmondo (Leon Morin Prêtre, 1961, Le Doulos, 1962) et avant Delon (Le Samouraï, 1967, Le Cercle Rouge, 1970, Un flic, 1972), c’est Lino Ventura qui sert d’interprète principal à l’histoire racontée par le réalisateur, adaptée d’un roman de José Giovanni et coscénarisée par ce dernier. Ce roman, le deuxième de Giovanni, suit d’un an « le Trou », publié en 1957 et porté à l’écran par Jacques Becker en 1960. Autant dire que passer derrière un tel chef d’oeuvre, même pour un réalisateur de la trempe de Jean-Pierre Melville, pouvait s’avérer risqué.
Décrivant de manière plus qu’originale le milieu de la pègre, entre Marseille et Paris, entre une évasion, un coup en préparation et un chantage qui tourne mal, le film offre d’entrée une galerie de caractères assez truculents, Gustave Minda, dit « Gu »/Lino Ventura, en criminel taiseux, Raymond Pellegrin, en patron de boîte maffieux inquiet, Manouche/Christine Fabréga en soeur dévouée et lasse, un rien incestueuse, Alban/Michel Constantin en second couteau fidèle et efficace et le commissaire Blot/Paul Meurisse, ironique et à qui on ne la fait pas (la scène du non-interrogatoire est d’anthologie).
Le plus surprenant, à l’exception de quelques dialogues théâtraux, rarissimes dans l’oeuvre de Melville, c’est l’interprétation générale, proche de ce que la Nouvelle Vague a pu produire, des phrases énoncées sans beaucoup d’intonation, d’une voix monocorde. Si le naturel de Michel Constantin et le talent de Denis Manuel s’y prêtent bien, Lino Ventura, Paul Meurisse et Paul Frankeur ne s’y aventurent pas et d’autres acteurs comme Marcel Bozzuffi ou Raymond Pellegrin y perdent même de leur superbe. Christine Fabréga est tout simplement mauvaise.
La réalisation est melvinienne, beaucoup de changements de plans et de cadres, de longues scènes muettes. Le scénario est quant à lui très délié, coupé comme net en trois parties sans âme, lent à mourir et c’est sans aucun doute le principal défaut de cette œuvre, sans compter l’incohérence totale de la fin
(l’évasion de l’hôpital)
, comme trop souvent chez Melville. Notons enfin une interprétation générale trop hétéroclite et globalement mauvaise, même de la part de Ventura.
Pari risqué donc et complètement raté.